Impossible de devenir humain sans se laisser habiter par la fraternité

La fraternité interroge ce eux, les autres, ceux qui n’ont pas la même culture, la même religion, les mêmes coutumes. Eux, dont on dit facilement qu’ils menacent nos chômeurs, nos travailleurs, ou encore notre identité jusqu’à oublier que, dans les hôpitaux, ceux qui soignent au plus près les corps, ce sont eux les lointains.

L’écrivain Daniel Pennac dans un de ses textes, il y a 10 ans, qui n’a pas pris une ride, alerte : « petit-à-petit, chacun se sent seul et menacé par cette « marée humaine » qui n’a plus rien d’humain ». Ces gens ne sont plus des gens, ils sont eux et pas nous pour être plus nombreux que nous, ajoutant : « nous voilà tentés de nous refermer sur nos peurs, sur nos refus d’aider, sur nos silences ».

Briser les peurs, c’est marcher vers la fraternité. Aller vers l’autre, les autres, ils ne sont pas simplement eux, ou s’ils le sont, eux c’est aussi nous… pour eux.

Troisième terme de la devise républicaine, la fraternité fut à un certain moment de l’histoire placée entre liberté et égalité, ce qui était assez juste, sans elle, les deux autres peuvent difficilement exister, coexister.

La fraternité une hospitalité ! Il n’est pas anodin de rappeler que dans notre langue, l’hôte est le même mot pour dire celui qui reçoit et celui qui est reçu, les voici de plain-pied.

Récemment, dans une grande Métropole, Habitat et Humanisme déposait un permis de construire pour une pension de famille d’une vingtaine de logements. Ce type d’habitat imaginé par le Docteur Xavier Emmanuelli, à destination des plus fragiles, est une école de reconstruction sociale pour de nombreux d’entre eux.

Ce programme, bien qu’une chance pour la fraternité, fit beaucoup de bruit alors que, par essence, elle fait du bien. La peur de l’autre suscite des débats. Heureusement, le combat n’eut pas lieu, chacun saisissant que le quartier ne perdrait pas son caractère résidentiel en permettant à ceux-là de le rejoindre.

Habitat et Humanisme tente de réduire la vacance des logements ; l’inoccupation de centaines de milliers d’entre eux est un mépris des plus pauvres, refus de fraternité. Sur la question d’un journaliste concernant la réquisition, précisant que ce n’était pas la solution ‑ ce dispositif ayant été retenu par Jacques Chirac sans donner, il s’en faut, les résultats escomptés ‑ mon propos suscita de vives critiques quant à la réserve exprimée.

Peut-être conviendra-t-il d’y avoir recours, si rien ne bouge. Seulement la fraternité ne se construit pas à partir de lois, de règlements, d’injonctions mais de cœurs qui s’ouvrent, blessés par ce qu’ils voient, bien décidés à faire naître un « autrement » possible.

La fraternité est mère de ces relations où la raison a sa place sans pour autant déloger celle du cœur. Commence alors une recherche patiente de ce qui unit plutôt que ce qui désunit. Tout n’est pas réglé, mais au moins tombent quelques crispations pour qu’il n’y ait pas d’un côté, eux et de l’autre, nous.

A ne plus supporter les autres au motif qu’ils sont différents, nous dessinons des fractures qui, sur nos territoires, ont déjà pris place au point que très justement, souvenons-nous des mots de Gérard Collomb quittant le Ministère de l’Intérieur : « Aujourd’hui on vit côte à côte… Je crains que demain on ne vive face à face ».

Il y a là un risque anthropologique qui donne le vertige. A ne pas en voir le danger, notre terre sera devenue inhabitable.

En ce sens, la fraternité introduit l’écologie intégrale.

Bernard Devert
Décembre 2025

Le cœur, ce haut-lieu de la fraternité

L’an 2025 s’éteint ; il fut pour Habitat et Humanisme celui de son 40ème anniversaire, marqué par une sobriété chaleureuse, présentant parfois une certaine gravité, tant nous peinons à réduire les situations de détresse que vivent ces frères et sœurs n’ayant d’autres lieux pour dormir que la rue ou l’indignité d’un logement.

Ensemble, « embarqués » dans ce grand voyage vers une terre plus solidaire ‑ la mixité sociale en est un des vecteurs majeurs – nos cœurs sont habités par une lumière toute intérieure, celle de la fraternité.

Cette « terre promise » ne s’inscrit pas dans un futur, ce qui serait trop facile et d’une certaine façon une fuite de nos responsabilités ; elle est une promesse permanente et actuelle qu’il nous faut chercher pour ne point la déserter.

Que « d’îles désertes » dans nos agglomérations ! Nous ne les voyons pas alors qu’elles recueillent les naufragés de nos Sociétés. Passant, en début de semaine devant la gare de Lyon, je voyais ces hommes qui n’avaient d’autres refuges que le bord de fenêtres de bureaux pour se coucher dans des couvertures !

Partout, nous assistons à une floraison de ces lieux de mort pour être sans doute moins vivants que nous ne le pensons.

La Société n’a nul besoin d’entendre mes plaintes accompagnées d’un ressenti amer et quelque peu honteux au regard de ce constat, elle a besoin de vous pour dire non à l’inacceptable. Ces hommes et ces femmes abandonnés ne sont pas des étrangers, ils sont nos frères et nos sœurs.

Si l’humanisme est un soin, il est aussi une fraternité, un appel à ne pas rester éloignés de ceux qui ont perdu pied et souvent perdu cœur.

La perte de l’autre se révèle une perte de soi.

Vos engagements témoignent précisément que vous n’avez rien perdu de ces idéaux qui font vivre. Dans cette traversée, pour atteindre la terre nouvelle, nous sommes parfois, les uns et les autres, tentés par la révolte, l’indignation. Heureusement, nous comprenons que ce ressenti n’est pas un point d’arrivée, mais un point de départ pour ne pas sombrer sur des récifs.

Si le pessimisme peut nous guetter, la fraternité se révèle profondément un optimisme de volonté ; là, nous découvrons l’éternelle enfance qui sans doute est la condition même pour que la vie demeure et le demeure pour tous, comprenant que la victoire que nous devons offrir à l’humanisme est celui‑ j’ose ce mot – de l’amour plus fort que la mort.

2025 s’éteint avec ses drames, la stupidité de trop de querelles partisanes nourries de ces idéologies qui arment les certitudes faciles, plutôt que les convictions d’avoir à faire naître une terre pour tous.

Saint-Exupéry dans « Terre des hommes » dit : si vous aviez objecté à Mermoz, quand il plongeait vers le versant chilien des Andes, avec sa victoire dans le cœur, qu’il se trompait, une lettre de marchand peut-être ne valait pas le risque de sa vie, il eût ri de vous. La vérité, c’est l’homme qui naissait en lui quand il passait les Andes.

La fraternité s’éveille quand nous naissons à cette humanité, traduisant un appel à moins regarder le ciel qu’à le reconnaître, là où il naît, le cœur de ces femmes et ces hommes qui, tourmentés par la misère de leurs frères, s’emploient à la faire reculer.

Telle est l’aventure du partage pour une entraide mieux comprise.

Bernard Devert
Novembre 2025

Notre reconnaissance au Docteur Xavier Emmanuelli

Le Docteur Xavier Emmanuelli, cet homme pleinement engagé auprès de ceux que la vie blesse, vient de nous quitter. Il n’a cessé de bâtir des espaces de soins en France et dans un grand nombre de pays du monde, tant sa vision était riche d’un humanisme novateur, en phase avec les attentes de ceux si souvent oubliés.

Xavier, vous êtes cet homme d’action prenant le temps d’une réelle attention aux autres. Vif, vous saisissiez les mesures à prendre pour que l’inacceptable recule.

Le mot qui revient dans ces heures où nous apprenons sa disparition est unanimement celui d’un grand humaniste de par son envergure et sa capacité à être debout sur des fronts différents, conjuguant le soin médical et le prendre-soin social.

Foncièrement, il était un homme d’espérance sachant voir et donnant à voir ce qu’il fallait entreprendre pour briser l’indifférence ; vous qui l’avez connu, vous savez combien elle lui était odieuse.

Regarder en face et faire face, telle était bien l’exigence éthique et spirituelle qui façonnait son être.

Médecin, il a soigné les corps et soigné les cœurs, suscitant audace et énergie pour être un résistant ne supportant pas que des hommes et des femmes puissent être massacrés, jetés à la rue, n’ayant qu’un trottoir pour dormir.

Quelle belle avancée que le SAMU social.

L’urgence était ce quotidien qui l’habitait. Toujours, il apparaissait pressé en recherche de nouvelles réponses, taraudé par la souffrance de ceux désespérés, qui n’attendent parfois plus rien, tant est abyssale la plongée que cause la misère.

Une colère sourde l’affectait. Il fit mentir l’adage ; loin d’être mauvaise conseillère, elle l’aida à remuer ciel et terre pour faire naître de justes propositions à bien des situations iniques et injustes.

Au sein du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées qu’il présida de 1997 à 2015, il ouvrit de nombreux chantiers. Souvenons-nous de deux textes majeurs : la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) du 13 décembre 2000 et celui du Droit au Logement Opposable (DALO) le 5 mars 2007 qu’il façonna en concertation avec Maître Paul Bouchet et Bernard Lacharme. Tous trois en furent les concepteurs.

Comment aussi, ne pas évoquer les maisons relais désormais nommées pension de famille qui se révèlent des lieux de socialisation, traduisant la confiance qu’il témoignait aux plus vulnérables. Il les aimait, leur offrant un regard lucide et bienveillant, ouvrant des passages vers des possibles aussi inattendus qu’inespérés.

Que de drames le Dr Xavier Emmanuelli a su constamment approcher, jamais il ne s’est découragé, restant secret, pudique, quant à la source de l’énergie qui l’animait. Riche de cette lumière intérieure, il sut faire reconnaître aux plus fragiles que rien, absolument rien, ne pouvait leur enlever leur dignité. Ne nous étonnons pas que cet homme magnifiquement vivant ait recherché passionnément comment faire exister ceux qu’une mort sociale encerclait.

Avec les membres du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées, son secrétaire général, René Dutrey ses collaborateurs, nous adressons au Docteur Xavier Emmanuelli, un immense merci pour ce qu’il est et ce qu’il a permis d’entreprendre et transmettons aux siens nos condoléances émues.

Bernard Devert
Président

L’économie solidaire ou l’aventure du bien

Ces jours, du 10 au 18 novembre sont ceux de la semaine mettant en exergue la finance solidaire.

Alors que la finance est omniprésente et omnipuissante, ne parle-t-on pas de la financiarisation de l’économie. Dans ce contexte, quelle place a l’économie solidaire dont il faut reconnaître qu’elle reste très discrète (trop), alors qu’elle a une réelle efficience sur le plan sociétal.

L’Economie Sociale et Solidaire n’est pas une niche, pas davantage une forme marginale de l’économie au motif qu’elle sert la cause de ceux qui sont aux marges.

Quel en est le carburant ? Votre décision de refuser de mettre l’intérêt et la rentabilité au centre de la vie dont les conséquences sont redoutables pour placer aux périphéries les plus fragiles de nos concitoyens.

Cette économie, créatrice d’un avenir, naît d’une sagesse mettant à distance la brutalité du ‘toujours plus’ et du ‘tout, tout de suite’. La recherche de ce qui est juste, équilibré, ne témoigne-t-elle pas d’une volonté concrète de bâtir un monde plus attentif au bien commun.

La qualité de vie ne dépend pas de la possession de biens mais d’une vigilance à des partages créatifs pour faire taire le bruissement des cupidités et fébrilités qui fait tant de bruit et tant de mal.

Nous sommes là au cœur de l’engagement d’Habitat et Humanisme.

L’actualité ne cesse de nous parler de ces récits de « corsaires » mettant sur des récifs ceux qui s’embarquent avec des « pilotes » aux mains invisibles redoutables, gouvernant à l’aveugle pour n’avoir d’autres finalités que l’éclat de ce qui brille.

L’économie solidaire, c’est tout le contraire, des mains ouvertes et expertes, bâtissant des projets, transformant une économie au service d’une plus grande humanité.

Dans un monde devenu si dur, nous ne pouvons pas agir mollement contre l’insupportable. Quelles sont nos armes ? Si nos munitions sont désarmantes, elles n’en sont pas moins efficientes pour toucher notre cible, l’attention aux plus vulnérables.

Vous rêvez, me direz-vous, sans doute, mais alors les yeux grands ouverts. J’ose vous dire que ces rêves ne sont pas des illusions. De par nos foncières solidaires foncièrement bonnes, des milliers de logements ont été bâtis, réhabilités.

L’aventure que nous menons ne serait-elle pas celle de David et Goliath. Nous sommes des « nains ». Nous tentons de faire exister les plus pauvres avec peu de moyens, mais beaucoup d’enthousiasme avec des cœurs – dont les vôtres – qui débordent de courage face à un monde submergé par des capitaux qui se comptent par milliards, voire de trilliards.

Toute cette masse d’argent où est-elle investie, les économistes disent que ces capitaux sont flottants ; le mot est juste. Leurs détenteurs ne voient-ils pas ces hommes, ces femmes et ces enfants coulés, sans avenir pour ne pas disposer d’un toit ou d’un logement décent.

Devant des tels spectacles iniques, heureusement, il y a beaucoup de « David ». Ils ne tentent pas d’abattre les « Goliath ». Leur sujet est de faire naître, reconnaître qu’il est une autre richesse, celle d’un partage à partir d’une économie à laquelle ils s’associent pour que leur capital ‑ il demeure le leur ‑ soit au service des plus fragiles.

Impossible, diront certains ; folie diront d’autres, gardez les pieds sur terre. Justement cette économie solidaire ne s’éloigne pas du réel ; elle le prend à bras le corps pour le transformer. J’ai peur d’entendre les cyniques. Je reste, avec vous, habité par l’esprit de Dostoïevski : il me faut devenir meilleur pour le monde le soit.

Une certaine économie, celle de la solidarité, trouve ici sa place, toute sa place.

Bernard Devert
Novembre 2025

Quand le partage de l’espace se révèle un mieux vivre pour soi et les autres

Notre Pays et l’Occident connaissent une diminution de leur démographie sans trop ‑ semble-t-il ‑ nous inquiéter, au moins nous interroger, sur ce qui peut ressembler à une peur de donner la vie.

Les causes sont multiples : la guerre en Europe avec l’Ukraine, notre planète si malmenée que d’aucuns pensent que tout cela va mal finir, attendu les catastrophes naturelles qui s’aggravent en nombre et en intensité, sans oublier les politiques qui ne sont pas à la hauteur des défis à relever. Tout doucement mais sûrement s’installe un pessimisme qui concourt à un repli sur soi amer et délétère.

Quand la recherche concrète du sens s’éloigne, l’attention aux autres recule. Ainsi, nous assistons à un phénomène d’isolement qui gangrène la Société, tant il devient massif, fut-il silencieux.

Comment ne pas observer qu’au soir de la vie, comme au début de l’âge adulte, les grands aînés et les jeunes partagent une même réalité, la solitude.

Quand deux jeunes sur trois disent se sentir seuls, comme les personnes âgées, alors il nous faut prendre conscience que la fraternité s’est fracturée par l’indifférence ; elle s’est singulièrement installée.

Nous assistons à une rupture des relations intergénérationnelles ; que de souffrances qui, pour être cachées, parfois occultées, n’en sont pas moins réelles.

La mort sociale des personnes âgées a augmenté de plus de 150 % en 10 ans.

Une jeunesse est aussi touchée par cette mort sociale, les plongeant dans bien des amertumes. La principale cause de décès des jeunes est le suicide. Les tentatives de suicide et d’auto mutilation ont explosé en 2024 (+ 6% en un an).

La France est l’un des pays qui consomme le plus d’anxiolytiques au monde avec plus de 12 millions de personnes concernées.

Concernant les jeunes, il est insupportable que trop d’étudiants doivent se priver de nourriture pour parvenir à se loger. Alors qu’ils préparent l’avenir, la Nation est trop indifférente à leurs conditions de vie injustes.

Là, encore, l’habitat est au cœur de cette étrangeté et de leur isolement. Cette semaine, un ami, Michel, appelait mon attention sur le fait que bien des personnes âgées, lui-même reconnaissant qu’il s’en approche, vivent dans de grands appartements, parfois seules ou en couple. Ainsi, dit-il, dans la résidence que j’habite depuis 40 ans, après avoir élevé avec mon épouse cinq enfants, nous sommes plus que seize aujourd’hui, alors que nous étions 56 occupants.

Michel s’est investi avec son épouse pour réaménager l’espace de leur logement en créant un T1 bis, lequel bénéficie d’un confort et des surfaces protectrices de l’intimité.

Voici un exemple très concret qui conduit à un partage, par-là même à une solidarité bénéfique pour tous, introduisant une vigilance de bon aloi pour retisser la cohésion sociale.

Chantal, l’épouse de Michel, trouvait l’idée judicieuse, mais rien ne presse, disait-elle, puisqu’à tous deux nous n’avons que 160 ans ! Les travaux, qui viennent de se terminer, permettent d’offrir à une aide-soignante au début de sa carrière professionnelle de disposer d’un logement en centre-ville.

Des solitudes brisées et une reconnaissance de l’autre se font jour.

Aussi, fort de l’accompagnement de Michel, Habitat et Humanisme a-t-elle décidé, sous son égide, de créer un service pour que nos aînés puissent disposer d’informations, d’aides nécessaires pour réfléchir et mettre en œuvre de tels projets financièrement peu onéreux, pouvant être accompagnés de subventions.

Voici qu’à l’aune de l’attention aux autres, de grands espaces se transforment en biens qui font du bien.

Bernard Devert
Novembre 2025

L’Ange partit en pleurant

Ce titre reprend la légende de Grouchenka dans les Frères Karamazov. Comment ne pas pleurer devant les atrocités que subissent les habitants de Gaza, de l’Ukraine ; les murs tombent, l’humanité s’effondre. Chez nous, ne voyons-nous pas ces familles, ces enfants qui vivent sur des trottoirs ou dans des squats. Il y a peu de larmes.

Pleurer pour que les larmes viennent laver les regards assombris par l’indifférence et la promptitude à trouver des alibis et ces discours qui n’arrêtent aucune des horreurs dénoncées, se contentant d’un « plus jamais ça ».

L’indignation est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Quand, enfin, comprendra-t-on que seul l’amour sécurise.

En ce jour de la Toussaint, suivi de celui de la commémoration de ceux qui nous ont quittés, il nous faut constater la tragédie d’une humanité incapable de défendre la vie, s’habituant, qui plus est, à cette information quotidienne qui s’abat sur nous, sans que nous soyons vraiment accablés, alors que tant d’êtres sont détruits par un obscurantisme mortifère et des intérêts inavouables.

Il est de ces patiences assassines qui font de nous les complices du mal. L’ange partit en pleurant, non pour déserter les drames mais pour nous rejoindre afin de nous mobiliser. Les Béatitudes nous enjoignent d’entrer en résistance, heureux les artisans de justice.

Moi-même, je dois m’interroger : qu’ai-je fait au regard de tous ces frères et sœurs dont l’absence de logements et/ou de leur indignité sont une des causes de ces morts sociales qui détruisent les plus vulnérables.

A cette mission pleinement humaine, nous sommes appelés pour ne point déserter l’exigence séculaire de l’assistance à personne en danger. Qu’as-tu fait de ton frère ?

Il nous faut sans doute guérir de nos cataractes pour voir les choses telles qu’elles sont. En les regardant en face et faire face, peut-être alors pleurerons-nous, mais pleurer, ce n’est pas gémir, se lamenter, c’est s’inscrire dans une clarté pour changer ce qui peut et doit l’être.

Dans le continuum de ma chronique précédente, je vous proposais cette semaine d’évoquer trois propositions :

  • bâtir avec un aménagement adapté sur des friches, sachant que plus de 2 500 hectares sont disponibles en Région Ile-de-France, là où la situation est la plus cruciale pour les personnes en attente d’un logement,

  • mobiliser l’épargne privée : plus de 2 100 milliards sont actuellement investis en placement liquides, numéraires et dépôts. Une part substantielle ne devrait-elle pas être orientée vers la construction du logement abordable, ces opérations nécessaires et urgentes bénéficieraient d’un régime fiscal introduisant un amortissement significatif du bien.

Aucune aberration dans cette approche, le marché du logement quand il ne dispose pas de béquilles s’effondre. Les plus pauvres en sont les premières victimes.

  • réduire la vacance des logements : 400 000 en Ile-de-France et dans les grandes Métropoles.

Ce projet, présenté en juin par Habitat et Humanisme lors de l’Université de la Ville de Demain, sous l’égide de la Fondation Palladio, a fait l’objet d’une attention des pouvoirs publics.

L’économie sociale et solidaire est déterminée à participer à ce défi, sachant que pour débloquer la situation, l’usufruit devrait faire l’objet d’une défiscalisation dans les mêmes conditions qu’un apport en espèces au sein des foncières solidaires.

Ces trois propositions traduisent un partenariat public-privé à développer, relevant de ce « droit à vivre décemment » auquel les plus fragiles ne sauraient être écartés, ce qui malheureusement n’est pas la situation qui leur est réservée.

Arrêtons de penser que l’immobilier est une charge pour lui reconnaître qu’il est un investissement qui, enfin réalisé à destination des plus vulnérables, éviterait bien des drames, coûteux sur le plan humain et onéreux pour les finances publiques.

L’heure est d’énoncer des propositions crédibles, fussent-elles difficiles afin que l’esprit de service « prenne la main » sur une économie entravée par sa financiarisation.

Bernard Devert
Octobre 2025