La fraternité au secours d’un nouvel ordre

Dans une récente chronique, je présentais la fraternité comme un rempart contre la misère dans ses dimensions, notamment sociales et spirituelles

Les événements que nous venons de traverser disent combien cette valeur fondatrice de notre République est mise à mal. Tout a commencé par un drame, la mort d’un adolescent pour aviur refusé d’obtempérer. Le policier qui a tiré a fait l’objet d’une garde à vue immédiate, suivie d’une détention provisoire pour homicide volontaire.

La justice n’a pas tremblé, mais la juste émotion qu’a suscitée cette tragédie a suscité la colère des jeunes des cités, puis d’éléments très troubles qui n’ont d’autre désir que de mettre à feu et à sang la société. Des maires ont fait l’objet d’agressions ; l’un d’eux d’une tentative d’assassinat.

Des symboles de la Nation ‘mis à sac’ furent incendiés, mairies, écoles, postes de police, établissements du Service public. Il a encore fallu que s’ajoute un pillage éhonté.

Quand la barbarie – cette lèpre sociale – s’empare des esprits, la fraternité est ébranlée.

Nous avons vu dans ce brouhaha surgir des risques majeurs, instrumentalisés par des partis politiques, tentés d’ajouter de la violence à la violence. La haine est bien entretenue…

La fierté d’une démocratie est de parvenir dans un contexte quasi insurrectionnel, pour le moins d’émeute, à trouver une voie pacifiante. La force n’est pas la réponse. Seule, l’adhésion à un projet de cohésion sociale est de nature à réduire l’enfièvrement ; il couve depuis si longtemps.

La fraternité, un sentiment, non, un discernement pour mobiliser énergie et audace aux fins de sortir par le haut de ces troubles qui font le jeu des minorités, décidées à imposer leur volonté de pouvoir.

Le chaos recule quand la fraternité et l’éthique se conjuguent.

Nul doute qu’il faille travailler à une société plus juste. L’habitat a une part importante pour refuser le communautarisme déjà bien avancé. Ne parle-t-on pas depuis quelques années des quartiers perdus pour la République. Quand les chaînes télévisées renvoient les images de ces jeunes enfants mettant le feu, comment ne pas éprouver le nihilisme dans lequel ils sont jetés pour n’avoir d’autre but que de saccager, de frapper et de voler

La politique de la ville, dont il est difficile de dire qu’elle n’a pas existé, s’est révélée insuffisante. Les responsabilités sont largement partagées. Il ne suffit pas seulement de déverser de l’argent pour que s’éteignent les feux de la haine, il faut du soin et du prendre-soin. Là, est notre défi.

Habitat et Humanisme s’investit sur ce soin, en mettant en œuvre la mixité sociale, reconnaissant que son engagement est insuffisant pour trop s’inscrire dans le palliatif.

Que de logements dans les cités sont humiliants pour se présenter comme des ‘machines à loger’ où sont assignés les plus pauvres.

Le sursaut qui s’impose est de prendre en compte ces misères concentrées sur les mêmes lieux, brisant l’avenir de beaucoup. Les causes sont multifactorielles : l’insécurité, le chômage, l’éducation, l’économie parallèle avec ce triste commerce de la drogue aux mains d’infâmes tyrans qui se servent d’adolescents – et même d’enfants – pour leur sale besogne.

L’heure est celle de la responsabilité ; ce mot trop oublié, prononcé à l’envi pendant ces jours de crise, s’adressait aux parents ; encore faut-il avoir à l’esprit que plus de 3 millions de familles, dites mono parentales, sont confrontées à un isolement ; il n’est pas étranger au lâcher-prise, source de tant de drames.

S’ouvre ici un grand chantier, une co-responsabilité qui n’est autre que la fraternité bien comprise.

Bernard Devert

Juillet 2023

La fraternité, rempart contre la misère.

La misère ne cesse d’assaillir, rejetant les plus vulnérables dans des lieux si fermés que ne filtre que le ressenti amer de ces lasses interrogations : quand parviendra-t-on à s’en sortir.

Il est toujours possible de se mettre à distance en recherchant des alibis pour ne pas s’inquiéter des effets pervers et dommageables qu’entraîne la perte d’estime de soi.

Nous sentons bien qu’il manque un supplément d’âme créant une dynamique, et même un enthousiasme, pour se libérer de ce poids pesant qui enchaîne les plus vulnérables leur faisant comprendre à demi-mot qu’ils ne sont pas de taille pour relever le défi ; l’épreuve est trop dure.

Que faut-il défaire ? La perte de confiance. Puis, vient le temps d’un parrainage qui sécurise en offrant un accompagnement traversé par une relation compréhensive et fraternelle.

Il s’agit de comprendre et de se faire comprendre de ceux qui ont perdu l’espoir pour se considérer comme rien, n’ayant rien et n’espérant rien. Trop tard, finalement, disent-ils ! Ils n’osent plus demander ; d’aucuns ne font même pas valoir leurs droits, ce qui n’empêche pas ces jugements absurdes présentant les pauvres comme des profiteurs.

Le Mouvement ATD Quart-Monde a souligné fort judicieusement la nécessité de ne pas laisser se répandre ces propos iniques.

Pour remettre debout ceux qui sont écrasés par la vie, la justice s’impose. Quelle justice ? Pas une simple équité, mais une compassion, laquelle ne s’éveille que là où on met un peu plus sur le plateau de l’aidé pour atténuer son déficit d’image, de confiance et d’espoir.

La compassion est un soin qui lézarde le mal qu’est l’indifférence ; l’aidé comprend qu’il est plus que ce qu’il pense, soutenu par la fraternité, formidable levier d’insertion, d’intégration.

Semaine écoulée, rencontrant en bordure d’un jardin public deux familles roms abritées sous des tentes déchirées ne laissant aucune place à l’idée de vacances, je fus touché par le regard d’une des mamans. Son visage marqué par une grande lassitude a perdu tout éclat mais a gardé une grande noblesse. Depuis plus de dix ans, me dit-elle, je vais d’abri en abri, d’hébergement en hébergement, ne parvenant pas à trouver un logement. Cette fois ci, je suis revenue dans cet arrondissement où mes enfants ont pu être scolarisés pour avoir séjourné dans ce quartier dans un bâtiment vétuste qui a fait l’objet d’un arrêté de péril.

Me connaissant un peu, elle me demande si j’accepterais de baptiser son enfant, il pleure toute la nuit, dit-elle. J’ose lui dire doucement que ce ne sont pas les eaux du baptême qui feront que son bébé ne pleurera plus ; elle me sourit. Je sais, dit-elle, mais c’est important. Je reçois sa parole en la corrélant à ce chant souvent retenu au cours des célébrations baptismales : peuple de baptisés, peuple de frères. Où est-elle cette fraternité ? Comment en suis-je un acteur ?

L’espérance, si elle ne traduit pas, ici et maintenant, une bonne nouvelle qui renouvelle la vie, alors, quelle est-elle ? Un futur, une parenthèse, au pire une illusion mais est-ce notre foi.

En quittant cette famille – j’étais accompagné du maire d’arrondissement – une personne, habitant un immeuble résidentiel en face de ce campement, interpelle l’élu : cela suffit ; il faut faire partir ces gens. Ils n’ont pas de place ici. Cette situation n’est pas normale. C’est vrai ajoute le représentant de la mairie. Vous n’avez pas compris, reprit-elle. Ce qui n’est pas normal, c’est que vous tolériez qu’ils puissent s’installer dans notre quartier. Qu’ils aillent ailleurs …

Ailleurs…

Comme si la misère ne suffisait pas, il faut encore qu’elle soit aggravée par les voix du mépris et de l’indifférence. Ne restons pas sourds à l’oreille du cœur qui, seule, fait entendre l’urgence de la fraternité.

Bernard Devert

Juin 2023

Trouver sa place

Les Villes sont attentives aux ‘places’, ces espaces d’agrément, de respiration et de convivialité facilitant les rencontres.

La place est à l’urbanisme ce qu’elle est au corps social, un lieu qui réunit et par là même crée des liens.

Toute personne a besoin de trouver sa place dans son milieu professionnel, affectif, sociétal. Le fait de ne pas parvenir à trouver un logement n’est jamais étranger au statut social.

A la question où habites-tu, d’aucuns sont parfois condamnés à ne pas répondre. Dans un CV, cette place manquante de ne pouvoir habiter un quartier valorisant, suscite bien souvent une perte de chances.

Que se passe-t-il pour ceux qui ressentent qu’ils n’ont pas de place, ne la trouvant que dans un ailleurs, le lieu du ban. Et qu’en est-il de ceux qui attendent et attendent encore un toit. Que de désespoirs pour s’entendre dire en des termes policés, on vous écrira ! Ne pas avoir de place entraîne un repli sur soi, lézardant bien souvent l’avenir.

La place d’Habitat et Humanisme se joue ici : réduire les délais pour qu’un foyer trouve sa place, bâtir des lieux adaptés à la situation de nos aînés, sans les mettre pour autant en retrait, offrir à des jeunes un habitat qui ne les enferme pas dans leur statut, mais leur permette d’exprimer par leur dynamisme, une solidarité créatrice d’une société plus fraternelle.

Ne nous payons pas de mots, nous nous heurtons aux moyens financiers, aux cultures différentes et aux graves inégalités qui trouvent, si on n’y prend garde, une place destructrice des relations sociales.

Que de murs séparent les quartiers !

La mission d’Habitat et Humanisme est d’ouvrir la ville pour que ne s’ajoute pas à la fragilité, ce ressenti amer de n’avoir pas de place ; pensons à ces quartiers dits perdus pour la République.

Bâtir la mixité sociale, susciter le vivre-ensemble est un combat permanent pour effacer ces ailleurs qui font le lit de l’indifférence mais aussi de ces violences, tant les abîmes crient l’injustice.

Ce combat fait encore débat. Il est heureux que vous soyez nombreux à faire place dans vos agendas à ces engagements qui mettent en œuvre des liens se révélant, au fil des années, source d’une transformation des regards où le lointain devient un proche.

Qui n’a pas entendu des oppositions à la construction des logements sociaux. « Une place pour les barbares » ! Terribles, ces jugements iniques, l’autre ne bénéficiant pas de ce regard qui fait exister et qui donne place alors à une relation pacifiante et même amicale.

Oui, trouver place, faire place est une invitation à vivre un déplacement, une décrispation introduisant une réflexion sur l’entraide jusqu’à interroger l’économie. Ne parle-t-on pas de place financière. Lyon a su en susciter une avec l’économie solidaire. H&H en est pionnière ; l’heure est vraiment de la développer.

Il est juste de reconnaître ces entreprises – et elles trouvent ici pleinement leur place – qui nous offrent un mécénat ainsi que ces organismes de l’épargne salariale solidaire, ou ces institutions financières au sein desquelles l’éthique, prise en compte, traduit la recherche de cette place à donner à ceux qui ne l’ont pas ou plus.

Bernard Devert

juin 2023

Et si un jour, vieillir était considéré comme un délit !

Dans l’océan des injures que sont trop souvent les réseaux sociaux, il est donné de recueillir des bouteilles à la mer, porteuses de message, se révélant de justes alertes que je voudrais vous partager.

Je reprends scrupuleusement le cri entendu :

« Je n’en peux plus de vivre dans une société qui n’aime pas les vieux. Je suis fatiguée d’entendre que nous sommes inutiles, coûteux, dépendants, malades et déments.  Même mes propres enfants pensent ça. La preuve, c’est que seule ma fille vient me voir. J’ignore d’ailleurs si ses visites vont durer car elle m’a avoué que ça lui coûtait de venir tant elle ne supportait ni ces lieux ni ce que j’étais devenue  » 

Comment ne pas être troublés à l’écoute d’une telle détresse ; elle ne peut nous laisser indifférents pour traduire l’oubli dans lequel sont plongés trop de nos aînés, ‘placés’ dans des établissements qui, trop souvent les mettent inexorablement en retrait de la société.

Quelle attente, quelle espérance les habitent ? La finitude les a rejoints, les emportant dans un anonymat que scelle le vertige d’une incompréhension pour se demander pourquoi suis-je encore là, envahi par ce sentiment d’inutilité lié à la fragilité.

Or, l’humanisme d’une société se mesure à l’aune de son attention à la vulnérabilité !

Le mal-être de nos grands aînés, que relaient les soignants, doit nous interroger sur notre capacité à introduire une générosité des relations sans laquelle est vaine toute vigilance à l’égard de ceux qui, voyant leurs forces décliner, se sentent perdus.

Quelle place leur réservons-nous dans un contexte où l’immédiateté se présente comme une tyrannie qui enferme dans des finitudes prégnantes, anesthésiées par des illusions que chacun saura nommer, sans qu’il soit utile de les rappeler.

Faute de se dé-corréler de ce « tout, tout de suite », il s’ensuit une finitude qui éloigne de la transcendance offrant à la vie un espace vital. La spiritualité, oubliée, rejetée, tout se joue alors sur des certitudes qui ne tiennent que le temps des réussites provisoires. Aussi, lorsqu’elles s’effacent et que la solitude surgit, un sentiment amer se dresse : pourquoi continuer à vivre ?  

La question est souvent formulée par ceux qui vivent l’angoisse de la finitude. Comment l’apaiser quand il n’y a personne pour entendre et comprendre, d’où l’urgente nécessité de penser autrement l’hospitalité que nous devons réserver à nos aînés ; l’enjeu sociétal est majeur.

Jamais dans l’histoire des pays riches, l’espérance de vie n’a été aussi grande, mais pour autant, il faut veiller à ce que ce vieillissement ne puisse un jour être considéré comme un délit : celui de vivre trop longtemps, trop mal, de ne pas faire ce qu’il faut pour éviter de devenir tout simplement …un vieux.

Le défi à relever n’est pas sans introduire l’inouï qui ne se dit pas avec des mots, mais avec des engagements qui éveillent d’autres possibles quand le cœur trouve enfin sa place.

Je ne vous ferai pas mystère de ma joie pour avoir été touché par ces deux jeunes qui, s’adressant à leurs aînés, leur disent simplement : nous prendrons soin de vous.

Puissions-nous nous associer à cette promesse qui lézarde les finitudes.

Bernard Devert

juin 2023

Un jour qui fit grand bruit

Pentecôte, ce 50ème jour après la résurrection, un jour qui fit grand bruit, comme le soulignent les Actes des Apôtres.

Ce jour dévoile ce que nous sommes. Il met en nous ce vif désir de vivre autrement pour prendre le risque d’accueillir l’Autre, les autres. Comment ne pas entendre ici les mots de René Char : « Va vers ton risque, à te regarder ils s’habitueront ».

Un jour qui fit grand bruit.

Pas ce bruit qui blesse et enferme mais, paradoxalement, celui du silence qui éveille aux appels intérieurs suscitant ces ruptures nécessaires pour créer des espaces de communion.

La foule se rassembla. L’improbable se propose à la liberté de chacun. Il s’ensuit un étonnement au regard des diversités culturelles, sociales. Comment est-ce possible. Chacun entend dans sa langue une parole qui ouvre si grand le cœur que tous éprouvent la joie d’être aimés d’un même amour.

Un jour qui fit grand bruit.

Jour de proclamation du kérygme où L’homme entend en même temps la parole du frère. Cette reconnaissance donne naissance à un appel qui fait surgir le besoin de faire du neuf. Ils étaient unis et mettaient tout en commun, vendaient leurs propriétés, leurs biens pour partager entre tous, selon leurs besoins (Actes 2-45).

Saint Exupéry dans ‘Citadelle’, dit que la voix de Dieu …est recherche et soif inexprimable. En ce jour qui fit grand bruit, ellesuscite des relations transformées, nées de l’inouï de ce bouleversement qui nous fait quitter un égoïsme absurde.

Quand l’homme prend conscience de ce qui l’humanise ou le divinise, ce qui est une même réalité, il est enfin libéré de ce qui l’enchaîne, d’où cet appel au partage pour entrer dans des inattendus, jusque-là esquissés mais souvent reportés sine die.

En ce jour qui fit grand bruit, le partage apparaît pour ce qu’il est, un bonheur qui n’est pas simplement le fait de donner mais de se donner. Alors, s’opère la défaite de nos défaitismes pour privilégier l’intelligence de la vie, cet apprivoisement que comprend si bien le Petit Prince pour l’accueillir comme création de liens vers l’essentiel.

En ce jour qui fit grand bruit, le Vivant n’est plus perçu dans un ailleurs ou comme un vague espoir ; Il se reçoit dans un émerveillement qui désarme. L’autre n’est plus l’étrange, l’étranger.

Dans ‘Pilote de guerre’ Saint-Exupéry dit en substance que là où le message du Christ est entendu, les hommes sont égaux dans leurs droits…égaux dans leurs devoirs. Ne trouve-t-on pas ici les valeurs qui guident et portent nos engagements pour bâtir un monde plus humain où le « vivre ensemble » trouverait enfin sa place.

Terre des Hommes, qu’as-tu fait de ton âme ?

La réponse est celle d’un bouleversement né de l’écoute de la déchirure de nos enfermements. S’ouvre alors ce passage qu’est la Pâque, non plus imaginée, souhaitée, mais habitée.

Bernard Devert

Mai 2023

Urgence et justice que de prendre-soin des soignants

Dans ces moments où la vie est confrontée à la maladie, au handicap ou à la grande dépendance consécutive à l’âge, l’existence, alors lézardée de fatigue, trouve avec les soignants, plus particulièrement ceux qu’on nomme les aides-soignants, les auxiliaires de vie, un singulier soutien.

Ces soignants sont pour la société, des anonymes dont la mission dans les hôpitaux, les maisons de retraite médicalisées et les centres de réadaptation, demeure inconnue jusqu’au jour où les accidents de la vie nous font entrer dans ces lieux où soudain tout vacille jusqu’à retenir le souffle ; qu’allons-nous devenir ?

Dans ce malaise que traverse le monde de la santé, il est juste d’exprimer une reconnaissance aux soignants, tout particulièrement à ceux considérés à tort comme les ‘petites mains des soins’ qui se révèlent celles qui rattachent à la vie dans ces moments où l’inquiétude et l’angoisse étreignent.

Qui se soucie vraiment de ce que vivent ces soignants, essentiellement des femmes. Venant souvent de contrées lointaines, elles s’approchent au plus près de ceux dont les corps blessés et meurtris appellent des gestes réparateurs suscitant des complicités discrètes, conférant au dévoilement des corps une relation pudique.

Les échanges entre soignés et soignants sont trop courts. Il s’ensuit peine et malentendus en raison d’une horloge qui n’est pas la même pour chacun d’eux ; les premiers ont du temps, souvent trop. Les seconds n’en ont pas assez, d’où le regret amer d’observer que leur mission n’est pas suffisamment prise en compte pour ne pas se réduire à poser des actes, mais à écouter, comprendre, ce qui fut souvent la raison et le cœur même de leur engagement.

Désirer s’approcher de ceux qui ont mal, c’est être habités par le désir de prendre soin de l’autre, jamais étranger à la détermination de soutenir, de compatir, d’aimer.

Qui se soucie aussi des deuils que vivent les soignants lorsque la mort emporte vers une autre rive ceux qu’ils ont aidés. Des larmes discrètes, souvent, se font jour sur leurs visages. A qui peuvent-ils parler de leur peine, de leur quotidien avec la proximité de la mort, recueillant de ceux qu’ils accompagnent une dernière confidence, conférant à jamais un lien dont l’écrin est le silence.

Le corps médical est un corps d’élite. Il mène un combat sans que pour autant la société éprouve le désir de le défendre. Cette prise de conscience devrait être une invitation à faire cesser cet oubli injuste.

Dans cette perspective deux priorités doivent impérativement se faire jour au-delà des questions de rémunération :

  • une attention au fait que les ressources des aides-soignants, auxiliaires de vie ne leur permettent pas d’habiter dans les métropoles à proximité des lieux où ils sont investis, d’où la nécessité de réparer cette iniquité dont on mesure la réalité lorsqu’on a besoin soi-même de soins.
  • la création d’espaces de paroles à proposer aux soignants afin qu’ils ne soient pas confrontés à une omerta les laissant dans une solitude intérieure, cause d’usures et de blessures dommageables.

Et si nous faisions mémoire de ces mots de Péguy : « les héros et les saints sont comme de belles grandes citadelles sans armes … Tout occupés à produire, ils ne gardent rien de leur force pour assurer leur propre sécurité. Ils n’ont aucun goût à plaider leur propre grandeur. Ils y seraient maladroits ».

Notre maladresse à nous serait de ne point les défendre.

Bernard Devert

Mai 2023