En ce milieu de l’été, en vous témoignant de mon amitié reconnaissante, puis-je évoquer la rentrée qui n’est pas très éloignée, l’année étant de plus en plus calée sur le calendrier scolaire et universitaire.
Que sera cette année 2025-2026 ? Que d’inconnues et de nuages qui l’insécurisent, mais ce qui nous rassemble c’est une conjointe détermination à ce que les plus fragiles ne sombrent pas dans des situations plus difficiles encore.
Nos orientations se définissent par trois verbes : servir, faire grandir et ennoblir pour lutter contre ce qui déchire la cohésion sociale.
Cette fragilité rampante nous laisse parfois sans voix et c’est bien dans ces situations poignantes qu’il convient de ne pas abandonner l’espérance, au sens où Georges Bernanos précise qu’elle est le désespoir surmonté.
Pour y parvenir, il nous faut comprendre qu’espérer, c’est agir.
Agir, pas seulement réagir, afin de faire surgir la promesse d’une terre pour tous. Dans ce monde qui s’agite, hésite et, trop souvent, vacille, les valeurs fondatrices de notre civilisation sont oubliées pour ne point nous rappeler que la primauté de l’homme l’emporte sur celle de l’individu.
Qui d’entre nous n’a pas été porté par le fait de reconnaître des êtres qui nous ont fait grandir et qui nous ont conduits, là où nous sommes et là où nous en sommes. Grâce à eux, souvent, nous avons trouvé un sens à nos vies pour servir la cause de ceux confrontés à des situations de détresse, refusant l’indifférence, ce voile voulant cacher les misères.
Ce qui nous élève et nous relève, c’est cette recherche des possibles.
Naturellement, ensemble, nous nous heurtons à bien des obstacles, autant de murs nous invitant à ne pas rester « au pied », mais à les lézarder et mieux, si possible, les faire tomber. Ce temps n’est jamais celui de l’agitation, mais d’une attention aux personnes rencontrées : une écoute respectueuse et la recherche d’un discernement, suscitant des relations humanisées, sachant combien la solitude les détruit.
Inutile de rappeler les chiffres ; ils sont inquiétants. Comment ne pas voir tous ces regards obnubilés par les écrans ; il n’y a d’yeux que pour eux. Quant à nos grands aînés, ils sont les oubliés, condamnés à attendre et attendre…
S’inscrire dans la recherche des possibles, c’est tenter de susciter une troisième voie ; elle ne demande pas à se poser la question s’il faut ou non « renverser la table », mais plutôt l’agrandir pour que chacun trouve sa place.
A cette proposition de loi du droit à l’aide à mourir, qui suscite bien des interrogations et des oppositions, n’y aurait-il pas l’urgence de visiter nos grands aînés pour leur dire qu’ils comptent. Ne sommes-nous pas leurs héritiers.
Le mutisme dans lequel ils s’enferment traduit leur solitude et un sentiment d’inutilité. Les rencontrer, à l’écoute de la mémoire de leur histoire, éclaire ce qui a été pour eux lumière. Le présent alors éveille un avenir possible.
En cette fête mariale du 15 août, il nous est proposé le récit de la visitation ; l’espérance n’est-elle pas nourrie par la rencontre. Savoir que l’on existe vraiment pour quelqu’un transforme et même transfigure la vie, fut-elle en son soir.
Le bénévolat est une des sources de ces possibles pour faire reconnaître et naître une espérance.
J’ose solliciter un appui de votre part pour que nos maisons de retraite ne soient pas des lieux de retrait ; nous avons besoin de vous.
Les soignants, de par leur engagement, concourent à des liens, ô combien précieux, mais de leur propre aveu et avec beaucoup de lucidité, ils espèrent que davantage de personnes viendront apporter un prendre-soin si complémentaire aux soins qu’ils offrent. Telle est l’approche de Paul Ricoeur évoquant la sollicitude.
Venons ennoblir la vie de ceux qui jugent que la leur n’a plus de sens. Or, ils ont des trésors à transmettre de par l’expérience de ce qu’ils ont vécu, traversé. Il faut des oreilles qui écoutent et des regards attentifs.
En 2025-2026, déployons ce bénévolat pour ne pas se laisser habiter par le mythe de Babel qui marque notre civilisation, les mêmes se réunissant en créant des abîmes avec ceux déjà en difficulté sociale.
Il est une voix magnifiquement divine et profondément humaine dans ce grand Livre d’humanité : « Et les autres », interpelle-t-elle.
Ce sont « ces autres » que nous voulons rejoindre et c’est pour eux que nous voulons bâtir sans exclure, d’où cette économie solidaire dont nombre d’entre vous sont acteurs pour refuser Babel à partir d’une parole et quelle Parole, celle du Vivant.
Que de brutalité et de violence dans les relations économiques, financières, parfois sociales. Aussi, encourageons cette économie solidaire ; elle progresse, mais pas suffisamment. Elle revêt cette petite espérance qui, pour reprendre les mots de Charles Péguy, n’a l’air de rien du tout, mais elle permet de voir, selon l’auteur du Porche du Mystère de la deuxième vertu, ce qui n’est pas encore et qui sera dans le futur du temps.
Il nous appartient d’anticiper ce temps. Il relève de ces possibles confiés à notre liberté ; ne négligeons pas cette petite fille espérance ; donnons-lui la main. Elle ouvre sur la fraternité.
Qui peut penser que la différence constitue une menace, sauf à s’installer dans une culture totalitaire qui n’est pas sans trouver des soutiens. Que n’entendons-nous pas sur l’exclusion pour « habiller » les plus vulnérables comme coupables de leur situation.
Soyons vigilants. Tous les drames que l’histoire a connus se terminent par une formule sans lendemain : « plus jamais ça ».
Ce « plus jamais ça », pour qu’il ait une portée véritable, exige une éthique engagée, habitée par la conscience qu’être homme, c’est s’ouvrir à des dépassements. L’homme n’est pas donné tout fait. Il est appelé à grandir. Ne mettons pas de limites pour garder cette préoccupation créatrice devant le petit enfant, jusqu’à se demander : que deviendra-t-il ?
Dans tout être, quel que soit son âge, un enfant sommeille.
Permettez-moi de vous partager les mots de ce poème de Jean-Luc Grasset ; il m’est cher.
Il suffit de peu pour que le soleil naisse sur un lit de feuilles jaunies, là-bas dans la cendre des nuages. La fragilité du monde devient si précieuse que Dieu marche pieds-nus pour ne pas le briser. Quand nous reconnaissons enfin ses pas, son dos s’est voûté dans la montagne et je m’étonne alors de tant de clarté après son passage.
Ce passage n’est-il pas aussi lumière de ces possibles, montée vers cet humanisme qui nous réunit.
Bernard Devert
Août 2025