La cohésion sociale ne se construira pas sans compromis

Un appel est lancé pour bloquer le Pays le 10 septembre. Plus grave, sans doute, est la paralysie qui déjà le touche tant les relations au niveau politique l’enferment. La Nation serait-elle nostalgique des révolutions pour s’interdire les évolutions nécessaires, afin d’éteindre l’incendie qui brûle le tissu social.

Hier, deux blocs, aujourd’hui trois, durablement installés dans l’hémicycle, où chacun d’eux, campés dans leurs respectives certitudes, sont sourds à cette conviction que l’heure serait de rechercher des compromis.

Cette culture n’est pas seulement rejetée, elle n’effleure pas les esprits de nos gouvernants préférant donner le triste spectacle des invectives et le mépris de l’autre. Quelle indécence !

La sagesse a dressé une table. Voici qu’elle est désertée. Qu’est-ce que cette sagesse pour nombre de nos élus, une valeur d’un autre temps. Or la souveraineté nationale, dont ils sont porteurs, induit la recherche du bien commun ; sa construction n’est pas étrangère aux compromis. Il est des provisoires qui ouvrent la trajectoire de l’avenir.

A cette table des négociations, si des compromis pouvaient être enfin trouvés, fussent des petits-pas, il s’ensuivrait des améliorations sensibles à destination de ceux qui souffrent. Ne sont-ils pas les oubliés dans ces débats où les chantres des partis se drapent dans leur vérité, remettant à demain des décisions concrètes, rejoignant l’attente de ceux dont le combat est de lutter contre les détresses.

L’esprit du compromis marque une attention au réel et aux fragilités prenant en compte l’urgence. Les propositions ne seront pas parfaites, mais meilleures que ces longs discours qui se résument par des « il faut que » aussi illusoires que vains.

Apprendre à se défaire des illusions, c’est entreprendre ce qui est possible pour améliorer les conditions de vie de ceux qui peinent et désespèrent. Si la démocratie a mal et perd du terrain, c’est pour être en rupture avec les attentes de nos concitoyens.

Agir, c’est moins renverser les pouvoirs sans pouvoir de ceux en responsabilité, que de trouver enfin des consensus éclairant quelque peu l’horizon en rejoignant l’engagement des acteurs des possibles.

Peut-on espérer que sur les bancs de l’hémicycle nos élus puissent se mettre à l’école du compromis. Que de changements alors surgiraient, mettant fin à une indifférence délétère.

Le compromis est un acte de confiance, un éveil de la reconnaissance de l’autre, permettant de s’allier pour entreprendre ensemble. La démocratie trouverait, ici, bien des raisons d’être.

Retenons les mots du poète, Philippe Jacottet : « Ce qui fait un lieu, c’est la présence d’une source et le sentiment obscur d’y trouver un centre… alors on peut entendre la voix de la conscience et le lieu de la libre décision ».

Peut-on espérer le sursaut d’une sagesse pour l’entendre.

Bernard Devert

Septembre 2025

Lettre du 15 août

En ce milieu de l’été, en vous témoignant de mon amitié reconnaissante, puis-je évoquer la rentrée qui n’est pas très éloignée, l’année étant de plus en plus calée sur le calendrier scolaire et universitaire.

Que sera cette année 2025-2026 ? Que d’inconnues et de nuages qui l’insécurisent, mais ce qui nous rassemble c’est une conjointe détermination à ce que les plus fragiles ne sombrent pas dans des situations plus difficiles encore.

Nos orientations se définissent par trois verbes : servir, faire grandir et ennoblir pour lutter contre ce qui déchire la cohésion sociale.

Cette fragilité rampante nous laisse parfois sans voix et c’est bien dans ces situations poignantes qu’il convient de ne pas abandonner l’espérance, au sens où Georges Bernanos précise qu’elle est le désespoir surmonté.

Pour y parvenir, il nous faut comprendre qu’espérer, c’est agir.

Agir, pas seulement réagir, afin de faire surgir la promesse d’une terre pour tous. Dans ce monde qui s’agite, hésite et, trop souvent, vacille, les valeurs fondatrices de notre civilisation sont oubliées pour ne point nous rappeler que la primauté de l’homme l’emporte sur celle de l’individu.

Qui d’entre nous n’a pas été porté par le fait de reconnaître des êtres qui nous ont fait grandir et qui nous ont conduits, là où nous sommes et là où nous en sommes. Grâce à eux, souvent, nous avons trouvé un sens à nos vies pour servir la cause de ceux confrontés à des situations de détresse, refusant l’indifférence, ce voile voulant cacher les misères.

Ce qui nous élève et nous relève, c’est cette recherche des possibles.

Naturellement, ensemble, nous nous heurtons à bien des obstacles, autant de murs nous invitant à ne pas rester « au pied », mais à les lézarder et mieux, si possible, les faire tomber. Ce temps n’est jamais celui de l’agitation, mais d’une attention aux personnes rencontrées : une écoute respectueuse et la recherche d’un discernement, suscitant des relations humanisées, sachant combien la solitude les détruit.

Inutile de rappeler les chiffres ; ils sont inquiétants. Comment ne pas voir tous ces regards obnubilés par les écrans ; il n’y a d’yeux que pour eux. Quant à nos grands aînés, ils sont les oubliés, condamnés à attendre et attendre…

S’inscrire dans la recherche des possibles, c’est tenter de susciter une troisième voie ; elle ne demande pas à se poser la question s’il faut ou non « renverser la table », mais plutôt l’agrandir pour que chacun trouve sa place.

A cette proposition de loi du droit à l’aide à mourir, qui suscite bien des interrogations et des oppositions, n’y aurait-il pas l’urgence de visiter nos grands aînés pour leur dire qu’ils comptent. Ne sommes-nous pas leurs héritiers.

Le mutisme dans lequel ils s’enferment traduit leur solitude et un sentiment d’inutilité. Les rencontrer, à l’écoute de la mémoire de leur histoire, éclaire ce qui a été pour eux lumière. Le présent alors éveille un avenir possible.

En cette fête mariale du 15 août, il nous est proposé le récit de la visitation ; l’espérance n’est-elle pas nourrie par la rencontre. Savoir que l’on existe vraiment pour quelqu’un transforme et même transfigure la vie, fut-elle en son soir.

Le bénévolat est une des sources de ces possibles pour faire reconnaître et naître une espérance.

J’ose solliciter un appui de votre part pour que nos maisons de retraite ne soient pas des lieux de retrait ; nous avons besoin de vous.

Les soignants, de par leur engagement, concourent à des liens, ô combien précieux, mais de leur propre aveu et avec beaucoup de lucidité, ils espèrent que davantage de personnes viendront apporter un prendre-soin si complémentaire aux soins qu’ils offrent. Telle est l’approche de Paul Ricoeur évoquant la sollicitude.

Venons ennoblir la vie de ceux qui jugent que la leur n’a plus de sens. Or, ils ont des trésors à transmettre de par l’expérience de ce qu’ils ont vécu, traversé. Il faut des oreilles qui écoutent et des regards attentifs.

En 2025-2026, déployons ce bénévolat pour ne pas se laisser habiter par le mythe de Babel qui marque notre civilisation, les mêmes se réunissant en créant des abîmes avec ceux déjà en difficulté sociale.

Il est une voix magnifiquement divine et profondément humaine dans ce grand Livre d’humanité : « Et les autres », interpelle-t-elle.

Ce sont « ces autres » que nous voulons rejoindre et c’est pour eux que nous voulons bâtir sans exclure, d’où cette économie solidaire dont nombre d’entre vous sont acteurs pour refuser Babel à partir d’une parole et quelle Parole, celle du Vivant.

Que de brutalité et de violence dans les relations économiques, financières, parfois sociales. Aussi, encourageons cette économie solidaire ; elle progresse, mais pas suffisamment. Elle revêt cette petite espérance qui, pour reprendre les mots de Charles Péguy, n’a l’air de rien du tout, mais elle permet de voir, selon l’auteur du Porche du Mystère de la deuxième vertu, ce qui n’est pas encore et qui sera dans le futur du temps.

Il nous appartient d’anticiper ce temps. Il relève de ces possibles confiés à notre liberté ; ne négligeons pas cette petite fille espérance ; donnons-lui la main. Elle ouvre sur la fraternité.

Qui peut penser que la différence constitue une menace, sauf à s’installer dans une culture totalitaire qui n’est pas sans trouver des soutiens. Que n’entendons-nous pas sur l’exclusion pour « habiller » les plus vulnérables comme coupables de leur situation.

Soyons vigilants. Tous les drames que l’histoire a connus se terminent par une formule sans lendemain : « plus jamais ça ».

Ce « plus jamais ça », pour qu’il ait une portée véritable, exige une éthique engagée, habitée par la conscience qu’être homme, c’est s’ouvrir à des dépassements. L’homme n’est pas donné tout fait. Il est appelé à grandir. Ne mettons pas de limites pour garder cette préoccupation créatrice devant le petit enfant, jusqu’à se demander : que deviendra-t-il ?

Dans tout être, quel que soit son âge, un enfant sommeille.

Permettez-moi de vous partager les mots de ce poème de Jean-Luc Grasset ; il m’est cher.

Il suffit de peu pour que le soleil naisse sur un lit de feuilles jaunies, là-bas dans la cendre des nuages. La fragilité du monde devient si précieuse que Dieu marche pieds-nus pour ne pas le briser. Quand nous reconnaissons enfin ses pas, son dos s’est voûté dans la montagne et je m’étonne alors de tant de clarté après son passage.

Ce passage n’est-il pas aussi lumière de ces possibles, montée vers cet humanisme qui nous réunit.

Bernard Devert
Août 2025

Servir, chemin de liberté

Le défilé du 14 juillet sur les Champs Elysées a souligné le déploiement de nos forces armées, clôturé avec grâce par la figure symbolique des bleuets, témoignage de solidarité avec les victimes du terrorisme et en mémoire des militaires disparus sur le théâtre de leurs opérations.

Les armées font parler d’elles. Il est vrai que l’Europe se doit de se défendre, les Etats-Unis ne faisant pas mystère de leur volonté de réduire leur engagement au sein de l’OTAN. Or, la guerre que connaît depuis trois ans et demi l’Ukraine, nécessite d’apporter à ce peuple dramatiquement assailli un certain savoir-faire et des armes, afin que cesse la violence du tyran du Kremlin obsédé par la résurgence de la grande Russie. Un présent décomposé par la brutalité et l’irrespect des règles du Droit International et l’éthique.

S’ajoutent à cette guerre, la montée des extrêmes, des tensions idéologiques et cette perte des repères ouvrant grand les portes de la haine distillant des propos qui n’ont d’autre finalité que de susciter l’idée d’une guerre civile.

Le Président de la République, Chef des armées, dans l’allocution qu’il prononça ce 13 juillet aux responsables des armées et aux ambassadeurs, eut cette formule « Pour être libre, il faut être craint et pour être craint, il faut être puissant. »

La liberté n’est jamais acquise ; constamment en danger elle demande à être habitée par un esprit de résistance et cette puissance de la vie, j’oserais dire celle de l’amour.  L’essoufflement de notre Société ne traduit-il pas la perte de la confiance et de l’espérance dans l’avenir, d’où un narratif dubitatif ouvrant la porte de l’indifférence, signe de ce repli sur soi pour n’avoir de crainte que pour soi-même.

Heureusement, les femmes et les hommes que vous êtes sont convaincus qu’il faut défendre l’humanisme qui toujours, lorsqu’il est vraiment acté, réduit les iniquités et les injustices, sources de tant de violences.

Le soutien à notre Mouvement n’est pas étranger à cette cause.

Notre responsabilité est de poursuivre des engagements qui doivent réveiller les consciences pour ne point accepter que la fraternité soit bafouée jusqu’à laisser des enfants, leurs parents et des grands aînés, sans disposer d’un lieu décent où reposer la tête, parce que notre Société « marche sur la tête ».

Oui, nous avons besoin de vous. Notre champ de bataille, notre combat commun, est de lutter contre la misère et la pauvreté. Si nous sommes trop souvent désarmés, vous êtes de ceux qui nous offrez l’énergie et les moyens d’agir.

Ces quelques mots vous sont adressés pour vous remercier de ces récits de vie que vous permettez de faire naitre, évitant aux naufragés de l’espoir de tomber inexorablement sur des récifs, assassinant la dignité de la vie.

Vous pouvez être fiers de ce que vous réalisez – vous en êtes les auteurs – à partir d’un discernement vous conduisant à choisir et à maintenir des investissements solidaires ; il change la donne de bien des personnes en situation de vulnérabilité.

« La puissance » de ce choix exprime votre détermination à ne point abandonner ce juste combat pour être celui de l’équité.

Plusieurs programmes sont en cours ; je voudrai évoquer la résidence « François Varillon » à Francheville (Rhône) qui prépare un accompagnement et des soins palliatifs, confortant ici l’engagement d’Habitat & Humanisme Soin.

A l’automne, nous inviterons ceux qui le peuvent, à participer à l’inauguration de ce lieu d’humanité.

Je ne m’autorise pas dans mes blogs, à faire un appel mais, au regard des attentes, puis-je solliciter votre soutien sachant qu’il est désormais possible d’investir directement via une souscription en ligne en cliquant ici.

Bien fidèlement vôtre.

Bernard Devert
Juillet 2025

Des chantiers pour la fraternité

Avec cette dernière chronique, les vacances appelant des nouvelles grilles des programmes, il m’est agréable de vous partager ce moment vécu ce 1er juillet lors de l’inauguration de deux bâtiments à Tarbes ; l’un concerne un habitat intergénérationnel dénommé « Cant ‘Adour », l’autre, une pension de famille appelée « La Cordée ».

Un même toit abrite ces deux habitats.

Cette opération de 35 appartements, en centre-ville, est l’expression d’une solidarité active et engagée à l’égard de ceux qui, blessés par la vie, n’imaginaient pas pouvoir bénéficier d’un tel logement.

Cette réalisation est le fruit de l’économie solidaire, comme évoqué dans ma précédente chronique.

Les messages qui ont été entendus lors de cette inauguration vous auraient touchés ; riches de sincérité et remplis d’émotion. Philippe, bénévole à H&H Pyrénées Adour, me dit combien il fut bouleversé. J’ai reçu, dit-il, mille fois plus que ce que j’ai pu donner. Le maire de Tarbes, M Gérard Trémège, exprima aussi son bonheur de voir que dans sa ville, l’acte de construire portait haut les couleurs de la fraternité.  

Les mots, loin d’être convenus, étaient habités par un souffle d’humanité donnant bien des raisons d’espérer dans une société qui en manque singulièrement.

Martin Luther King, prophète de la mixité, soulignait que si notre monde continuait à être replié sur lui-même, refusant l’autre au motif qu’il est différent alors, inévitablement, nous serions tous condamnés à vivre comme des fous.

Qui n’entend pas « nous marchons sur la tête ».

Ce lundi, à Tarbes, nos pieds étaient bien ancrés dans le réel, nos mains étaient solidaires et nos têtes, libérées de ce qui enchaîne, apprenaient à voir ce qui est essentiel. Tous avons accueilli cette grande dame qu’est « la sagesse », prodigue de tendresse.

J’ai tenu immédiatement à exprimer aux résidents ma gratitude et d’abord en votre nom, vous qui nous aidez à construire des logements à partir desquels, concrètement, un autre monde se construit.

Encore une fois, ce que nous faisons est insuffisant. Ne boudons pas l’ensoleillement de la fraternité porteuse d’espoir et plus encore d’espérance.

Au cours de cet été, peut-être qu’un certain nombre d’entre vous accepteraient de réfléchir à la création de ces chantiers de la fraternité pour ouvrir des voies qui mériteraient d’être étudiées pour sortir de ces situations où trop de nos concitoyens, en raison de leur vulnérabilité, s’entendent dire, il n’y a pas de place.

Pas de place, mais ne sont-ils pas aussi des humains. Alors, pourquoi… Ne serions-nous pas plus déshumanisés que nous le pensons.

Cette place, elle ne viendra pas toute seule ; il nous faut la concevoir, rencontrer les élus, rechercher comment construire autrement, pour rendre abordable le logement pour tous.

Ces chantiers de la fraternité seraient un « think tank » au cœur d’Habitat & Humanisme ; trop de personnes sont en souffrance, pour attendre et attendre un mieux. Il nous faut le bâtir. L’énergie et la détermination de faire bouger ce qui doit et peut l’être offriront les conditions d’un changement.

Je reste à votre disposition au cours de l’été pour réfléchir avec vous, sur la création de ce chantier de vie, tant l’accès au logement est ce minimum qui doit être offert à tous, sans écarter les plus fragiles.

Bonnes vacances, ce qui n’empêche pas qu’elles puissent être studieuses et heureuses pour s’inquiéter du bonheur de ceux qui en sont exclus.

Bernard Devert
3 juillet 2025

L’économie solidaire, un acteur majeur de la fraternité

La société va mal. Mal pour consentir à trop d’iniquités, mal pour laisser au « bord du monde » les plus vulnérables. Ensemble, nous refusons de nous inscrire dans une indifférence qui ne peut que banaliser le malheur et ajouter du cynisme à ce drame.

Alors, que faire ?

Se plaindre, gémir, voire s’indigner, mais qu’est-ce que cela change ? Vous, comme nous, ne voulons pas nous protéger par des lamentations, ces murs qui encerclent le fatalisme si nourricier de la misère.

Assez ! Lézardons ces murs et même, trouvons l’audace de les écrouler. Comment, en rejoignant l’économie solidaire.

Le baromètre de cette nouvelle économie, publié ce 25 juin par le journal La Croix en concertation avec FAIR – collectif de la finance à impact social au service d’un monde plus juste – souligne que cette épargne a progressé en 2024 de 7%.  Son encours global au 31 décembre 2024 est de 29,4 milliards d’euros.

Si le baromètre est au beau fixe quant à l’intérêt que suscite la finance solidaire, il faut immédiatement ajouter qu’une grande marge de progression est nécessaire pour parvenir à une météo financière nous éloignant des nuages de la pauvreté ; ils sont encore bien noirs et denses.

Ne boudons pas « l’ensoleillement » que suscite cette économie réparatrice du tissu social et innovatrice. L’iniquité ne se réduira que si nous parvenons à mettre en œuvre de nouveaux paradigmes, pour changer et faire changer.

Sans la finance solidaire, dont Habitat & Humanisme est l’un des pionniers, pour être en tête des grandes foncières solidaires, comme le souligne La Croix, jamais l’association n’aurait pu bâtir ces logements en cœur de ville à destination des plus fragiles. Un acte de soin redonnant vigueur à la fraternité.

Sans cette économie solidaire, jamais nous n’aurions pu mettre en œuvre un pôle médico-social à l’attention des personnes en souffrance sociale, qui plus est, confrontées à la dépendance physique ou psychique. Loin d’être une anecdote, cette branche d’activité est actuellement en France la 4ème dans le champ non lucratif.

Sans cette économie solidaire, nous ne pourrions envisager des projets novateurs comme celui qui se construit en concertation avec de grands hôpitaux, les Hospices Civils de Lyon, le Centre Léon Bérard aux fins de faciliter la sortie des personnes hospitalisées. Nombre d’entre elles, en raison de leur isolement – ce cancer social – ne peuvent pas bénéficier de soins à domicile lorsqu’elles sont touchées par de sévères pathologies. Que dire pour celles qui n’ont pas de toits ou vivent dans des logements indignes.

Difficile d’accepter que le soin ne soit pas suivi d’un prendre soin. L’économie sociale et solidaire y participe.

Il ne faut pas que de l’argent, mais il en faut ! Il ne tombe pas du ciel, mais le ciel – entendons le Royaume du Cœur – ne nous fait-il pas descendre de nos « Olympes » pour aller vers ceux qui désespèrent de trouver une trajectoire leur permettant de sortir des « enfer-mements».

Donner du prix à cette économie, c’est privilégier la fraternité. Dans son ouvrage « Le moment fraternité », Régis Debray dit qu’elle est une vieille cousine qui fait tapisserie. Invitons-la pour qu’elle fasse quelques pas de danse.

C’est aussi pour tous, faire danser la vie.

Bernard Devert
Juin 2025

Choisir de faire exister, ou l’aventure de l’humanisme

Sans habitat, il n’y a pas d’humanisme. Il faut être attentif aux mots, habiter, c’est bien plus que loger. Les plus fragiles n’y parviennent pas ou peu. Le refus d’un toit, c’est parfois le rejet à la rue avec toutes les violences qu’elle cause, c’est être condamné à rejoindre un squat ou un logement indigne. Que de pertes d’estime de soi dont la sortie est difficile.

La Société ne saurait se mettre à distance de telles situations. N’a-t-elle pas voté une loi qui l’honore pour rendre opposable le droit au logement. Seulement, quel écart entre la noblesse de ce texte et son application.

L’abîme concerne, à date, 110 224 ménages reconnus éligibles au titre du DALO dont 400 sont en attente depuis 2008 – 17 ans d’attente ! Les chiffres ne parlent plus ou peu ; ils sont pour le moins vite oubliés pour ne pas voir les visages de ceux qui ont cru et espéré dans un Etat qui, s’il a su prendre de justes mesures législatives, s’en libère par le jeu des pénalités.

Quand l’opposabilité d’un droit se résout ainsi, c’est finalement une Société qui se contente de bonnes intentions ; elles ne pavent pas seulement l’enfer mais aussi, tristement, nos rues, nos trottoirs.

Pourquoi un tel constat est-il toléré sans que les consciences se lèvent. Il ne s’agit pas de faire entendre de la colère, fut-elle juste, mais de faire comprendre que l’inacceptable ne peut et ne doit plus perdurer.

Assez de ces logements vacants dont le nombre, sur ces sept dernières années, a augmenté de 423 000. La fiscalité a bougé, les pénalités sont passées pour la même période de 80 M€ à 271 M€ sans arrêter la progression de ce phénomène.

Faut-il se taire, pour se faire les thuriféraires d’un silence occultant le drame de centaines de milliers de nos concitoyens dont la vie est saccagée pour devoir attendre, attendre encore qu’une porte s’ouvre.

La rue, si elle fait bien des victimes, assassine l’espérance, d’où une mort sociale. Ce drame touche-t-il vraiment l’opinion ; elle s’est habituée à la crise du mal-logement qui dure et s’aggrave. Il est pourtant rappelé que 20% des étudiants se privent de nourriture pour faire face à des loyers sans cohérence avec leurs ressources. Que de familles monoparentales, parfois abandonnées, se voient orientées vers des logements dans des quartiers paupérisés, les plongeant dans de nouvelles difficultés, à commencer par celles de l’éducation de leurs enfants.

Que de SOS reçus, sans possibilité d’être là pour apporter ce minima d’humanisme que représente un logement digne. L’offre est insuffisante.

N’acceptons pas qu’à ce drame, touchant ces êtres déjà désemparés, s’ajoute l’idée qu’ils sont responsables de la situation qu’ils subissent.

A juste titre, la Société s’est emparée, il y a déjà 25 ans (1999) de la question de la fin de vie. Là encore, une loi qui mérite d’être saluée ; seulement que d’attente, là encore, pour les soins palliatifs, plus de 50 % des patients qui en auraient besoin en sont exclus.

L’attention à la fin de vie dans le champ du palliatif ne devrait-t ’elle pas se révéler un enjeu pour que l’esprit qui l’anime s’inscrive tout au long de la vie, témoignant du respect inconditionnel de tous les êtres.

Le refus de l’abandon signe l’humanisme.

Plus de 200 000 personnes, chaque année en France, tentent de mettre fin à leurs jours, 100 000 doivent être hospitalisées. Une des causes premières est l’isolement, ce ressenti d’être rien, le mal-logement y participe singulièrement.

L’humanisme, vigilance contre l’indifférence, s’il appelle des lois, demande qu’elles soient vraiment mises en œuvre, sans oublier le formidable tissu associatif qui mériterait d’être mieux reconnu pour savoir tisser les liens par une écoute, celle-là même qui fait exister autrement. Là, commence l’ouverture d’une troisième voie.

Bernard Devert
Juin 2025