Ces Saints que l’on ne sait pas voir

Cette fête nous concerne tous. Tous saints, pour le moins appelés à l’être, témoignant d’une reconnaissance qui n’est pas sans donner naissance à des interrogations et des inespérés.

Où sont-ils ces Saints ?

Vous, nous tous, pour être appelés à le devenir et à revêtir sans attendre le vêtement de noces que nous recevrons pleinement lors de notre entrée dans le Royaume ; n’oublions pas, il est celui du cœur.

La sainteté ne serait-elle pas d’anticiper cette entrée, pour le moins la désirer, sans la remettre à plus tard.

Qui d’entre nous ne s’est pas écrié : « j’ai rencontré un saint », ou « je suis tombé sur un saint ». Ces rencontres, plus fréquentes qu’on ne le croit ou le pense, font surgir dans un éclair des relations qui laissent des traces et ouvrent des espaces d’un ‘autrement’ possible.

Un émerveillement, fût-il fulgurant, se propose alors à notre liberté.

La sainteté ne relève pas de la perfection. Inutile de rechercher dans le lexique des mots qui s’apparentent à l’éthique en faisant référence à une somme de biens qui, additionnée ou multipliée, donnerait des chances pour être de sérieux candidats à cette haute distinction de l’ordre de la Grand-Croix, dans le Royaume.

La sainteté n’est pas assommante, elle est une dynamique dont le vecteur ne relève pas de tous ces efforts, vains et souvent différés, pour se résoudre à des velléités répétées. Souvenons-nous du mot de Léon Bloy : « il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints ».

Pour Bernanos, la sainteté est l’enfance retrouvée. « Je n’ai jamais pris, par exemple, les bigots pour des chrétiens, les militaires pour des soldats, les grandes personnes pour être autre chose que des enfants monstrueux, couverts de poils ».

La sainteté est une aventure telle que les enfants la conçoivent et l’expriment souvent avec des questions usant la patience de leurs parents, pour s’entendre répondre : « allez, ça suffit, tu verras bien ».

La sainteté précisément est dérangeante.

Le saint s’éloigne des chemins banalisés, sécurisés, privilégiant l’appel de Celui présenté par « les Pilate » avec ces mots : « Voici l’Homme ». L’homme rejeté, refusé pour être à une infinie distance de ces illusions, les canons de nos sociétés nous modélisant comme des « honnêtes gens ». Nous savons que pour Péguy, ils ne mouillent pas à la grâce.

Le saint est celui qui se mouille, telle Yara, cette jeune femme syrienne (cf. le film de Ken Loach, The Old Oak) qui, par sa ferme et douce audace, donne à voir un autre monde que celui du refus de l’autre, parce qu’il est étranger.

Les chemins de sainteté ne sont pas nécessairement tout droit ; d’aucuns se perdent mais le saint sait qu’il n’a pas à marcher comme un héros à la manière de Plutarque.

Celui qui nous attend ne nous demande pas davantage de régler des péages, Il a payé pour nous de sa personne. En nous recevant, Lui, seul, nous fera comprendre que la sainteté n’est pas de dépasser l’humanité, mais de l’avoir assumée en de petites choses.

Nous nous souviendrons alors de cette Parole créatrice de vie et par-là même de sainteté : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».

Celui trois fois saint se rappellera que ce désir de sainteté nous a habités quelques fois, peut-être une fois mais, dans la mémoire du Ressuscité, le Maître de la Miséricorde nous ouvrira la plénitude de l’avenir, tous saints, pour être tous aimés par Celui qui en est la Source.

Bernard Devert
Novembre 2023

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