La mixité sociale, cette urgente vision pour un monde plus humain

Lors du Conseil Interministériel des Villes, tenu le 27 octobre à Chanteloup-les-Vignes, Madame Elisabeth Borne, Première Ministre, fit une annonce qui n’a pas été évaluée à sa juste mesure pour être considérée comme insuffisante, pour le moins absente de vision.

Quelle est cette annonce, celle d’une circulaire adressée aux Préfets leur demandant qu’il ne soit plus attribué aux familles très fragilisées, relevant du dispositif du Droit au Logement Opposable (DALO), des logements dans des quartiers prioritaires.

Cette décision est pertinente et nécessaire pour éviter l’effondrement de ces quartiers assignés à recevoir la misère, jusqu’à en être une triste réserve. Ne sont-ils pas nommés « perdus » pour la République. Force est de constater, même si ce mot est insupporté et insupportable, qu’ils constituent des ghettos pour être des lieux destructeurs de liens.

Ce 27 octobre, une date à marquer d’une pierre blanche.

Devant une centaine de maires de communes en souffrance sociale, Madame Elisabeth Borne, en présence de 13 de ses ministres, soulignait que le logement ne pouvait être un bien comme un autre, d’où une régulation quant à la règle du marché, via la mixité sociale pour expulser l’exclusion que subissent les plus pauvres et tous ceux qui, dans ces quartiers, crient « assez de cette pauvreté détruisant tout avenir ».

La mixité est la « pierre d’angle » de la cohésion sociale. Qui peut contester qu’elle est singulièrement lézardée.

Les valeurs de la République perdent de leur vitalité quand la mixité reste un mot creux, sans contenu.

  • Quelle liberté, quand le choix du logement se révèle inenvisageable.

Le Président de la République, lors de la présentation à Marseille, au mois de juin, du Plan Quartiers 2030, rappelait l’urgente nécessité de donner aux habitants la possibilité de choisir leur vie. L’habitat en est un des vecteurs.

  • Quelle égalité, quand plus de 5 millions de nos concitoyens sont de fait mis à part avec le ressenti amer d’être des oubliés, même si ces quartiers témoignent d’une intelligence créatrice, conjuguée à une générosité, si bien exprimée dans le film « Bonne mère ».

La misère, multiforme, est une lèpre qui sépare et détruit la relation.

Sans doute, convient-il de reconnaître les nombreux plans élaborés (plus de 13) et les investissements importants qu’ils ont suscités au sein des banlieues. Ne relevaient-ils pas davantage d’une attention à l’apaisement social que d’une recherche visant leur métamorphose que, seule, la vision de la mixité rend probable.

  • Quelle fraternité, quand le logement proposé présente tous les caractères d’une discrimination, signant la perte de chance d’un avenir. Cette déchirure est punitive. L’espace habité, quand il est imposé, est ressenti comme une mise au coin.

Noël Arnaud dans son livre « L’état d’ébauche » dit justement : « je suis la place où je suis ».

Faire place à ceux qui ne l’ont pas, ou plus, c’est prendre la mesure de la mixité sociale pour mettre en œuvre le vivre-ensemble.

Quelques suggestions qui transformeraient la donne pour basculer – osons et risquons cette démarche – si nous voulons considérer comme existentiel ce qui est juste plutôt que de se laisser berner par ces illusions présentées comme justes, parce que fortes.

  • Est-il juste que plus de 320 000 logements dans les Métropoles demeurent vacants. Or, ces appartements, souvent situés dans des quartiers anciens, offriraient une chance à la mixité.

Inutile de jeter l’opprobre sur leurs propriétaires ; d’aucuns sont âgés, pas toujours argentés, pour faire face aux financements qu’imposent les travaux de mises aux normes visant l’habitabilité de leurs biens.

  • Est-il juste que l’apprivoisement du foncier dans les grandes villes atteigne une telle charge pour n’avoir aucune régulation consécutive aux investissements de l’Etat et des Collectivités Locales, liés aux transports (métros, tramways…), équipements publics.

Il y a, ici, l’invitation à une répartition raisonnable, équitable du prix du foncier, observant une situation insoutenable, les classes moyennes doivent s’éloigner des grandes villes. Un habitat devenu en rupture avec leurs ressources.

La mixité est facteur d’équilibres pour susciter un apprivoisement sans lequel il n’y a pas de rapprochement possible. La fièvre des marchés s’atténue quand le sens de l’autre est suffisamment interrogé pour qu’il soit pris en compte.

Dans un contexte économique très tendu, comment parvenir à mettre en œuvre une vision active de la mixité sociale, afin que les plus vulnérables ne soient pas pris en otage dans cette recherche des équilibres financiers.

Parler de vision, c’est se mettre en marche, par-là même debout, pour lutter contre ce mépris au moins larvé de ceux qui sont différents, rejetés dans un ailleurs, innommé.

Or, nommer, c’est faire naître et reconnaître. Toute reconnaissance introduit une histoire, une mémoire et une ouverture. Là, commence la mixité en vue d’élaborer ce passage de l’entre soi à l’autre soi.

La mixité sociale n’est pas une figure imposée, mais un désir qui ouvre bien des perspectives. Comment mieux y parvenir que de proposer qu’elle soit érigée comme une grande cause nationale.

Dans un moment d’éclatement des liens en raison de peurs, d’insécurité et de ces iniquités abyssales dont l’urbanisme est à la fois acteur et témoin, cette grande cause ne viendrait-elle pas faire rouler la pierre de l’indifférence, l’un des tombeaux de notre Société.

Heureusement, des fondements existent sur lesquels il est possible de s’appuyer via l’économie qui promeut le vivre-ensemble portée par la finance solidaire. Hier, une utopie, aujourd’hui, une réalité qui mériterait que l’Etat lui apporte un soutien en lui témoignant de sa confiance, en vue de la développer (cf. chronique jointe : « L’économie solidaire, un partenariat entre la Nation et ses forces vives »).

Cette économie qui fait sens au service de la mixité est créatrice d’une harmonie mobilisatrice d’énergie, de générosité, d’intelligence du futur dans une conscience aigüe et partagée de ce changement à opérer pour faire changer.

Le propos de Mme Elisabeth Borne ne mérite pas qu’il soit boudé. Certes, l’annonce doit énoncer des propositions mais, déjà, elle se présente comme une révolution du cœur, une lumière diaphane qui fait apparaître, au plus haut niveau de l’Etat, une attention à l’égard des plus fragiles.

Souvenons-nous, c’est à l’aune de la fragilité que s’évalue l’humanisme de la Société.

Bernard Devert
Novembre 2023

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