Dans une précédente chronique, un lecteur me fait part à regret que le « vivre-ensemble » était tout au plus un rêve, ajoutant, j’ai peur qu’il soit un mot creux.
Vivre nos rêves n’est-ce pas ré-enchanter notre monde.
Certes, le « vivre-ensemble », qu’il conviendrait plutôt de nommer le « faire ensemble », est difficile, mais pour autant faut-il l’abandonner au risque de n’offrir aucune alternative à la ghettoïsation renvoyant aux « calendes grecques » le projet d’une Société plus apaisée pour être celle du lien.
L’humanisme n’est jamais facile pour être un combat permanent contre le fatalisme qui, accepté, pour le moins supporté, met à mal l’égale dignité des êtres ; le reconnaître, c’est faire naître des relations où l’autre peut être étrange sans pour autant lui opposer l’indifférence.
Il s’ensuit alors une recherche de l’unité, loin d’être une uniformité, se révélant la volonté d’une convergence de ces essentiels que sont le respect, le goût de l’autre conférant à la fraternité des liens concrets pour bâtir le socle d’une Société humanisée.
Ce « vivre-ensemble » ne traduit-il pas le réveil des consciences pour refuser un communautarisme déjà bien avancé qui, s’il devait perdurer et s’aggraver, susciterait des incompréhensions si majeures qu’elles deviendraient insurmontables ; d’aucuns souhaitant malheureusement qu’elles le demeurent.
Souvenons-nous des mots angoissés et angoissants de Gérard Colomb qui, quittant sa charge de Ministre de l’Intérieur, mettait en garde sur le fait que si les communautés parviennent, vaille que vaille, à vivre côte-à-côte, elles pourraient demain se trouver face-à-face.
Puisse cette crainte lucide ne jamais se réaliser.
Le « vivre-ensemble » un idéal, sûrement, plus encore une folie, dans l’esprit dominant du monde, mais il a plus grave que cette folie, c’est l’attachement au raisonnable qui tolère quand il ne le justifie pas l’absurde, les iniquités, jusqu’à anesthésier les élans nécessaires pour faire surgir de nouveaux possibles.
Gardons ces mots de Lamartine : « le réel est étroit, le possible est immense ». Seulement, l’étroitesse est préférée au grand large. Craindrions-nous les ouvertures qui, seules, suscitent un avenir ? Pourquoi privilégions-nous les habitudes, au lieu de se laisser habiter par ces appels à faire du neuf.
Georges Sand disait qu’on accepte la vieillesse et la mort qu’à l’heure où elles arrivent. Dans le champ sociétal, on est plus vieux que nous ne le pensons et plus mort que nous ne le croyons, d’où ce mot si juste de ce prophète et poète qu’est Maurice Zundel : Il ne s’agit pas, dit-il, de savoir si nous serons vivants après la mort, mais si nous serons vivants avant la mort.
Les facilités, toujours dommageables, parfois mortifères, s’installent avec l’habitude mettant au loin l’appel à se laisser habiter par ce qu’il y a de plus intérieur en nous-mêmes qui, seul, défend ce qu’il y a d’universel et de grand en l’homme.
Oui, il est de ces espaces à bâtir qui, pour signer un humanisme vital, ouvrent le champ des réconciliations. L’heure est vraiment de les désirer et de les mettre en œuvre. Le « vivre- ensemble » en est l’enjeu et le défi à relever.
Bernard Devert
Novembre 2023
