- Aujourd’hui, comment concevez-vous la mission d’Habitat et Humanisme devant l’incapacité des gouvernements à débloquer le logement en France, social et privé ?
Cette incapacité n’est pas seulement celle du Gouvernement qui n’a pas pris la mesure du drame du mal-logement, elle est quasiment encouragée par une indifférence de l’opinion, habituée depuis des décennies au fait qu’il y ait des personnes dans la rue et l’existence de quartiers si paupérisés, devenus ceux que l’on nomme « perdus pour la République ».
Cette ségrégation devrait réveiller les consciences ; il n’en est rien ou si peu.
Il faudrait retrouver la force de ces mots de Charles Péguy : habitués et non point habités.
Que de programmes refusés non seulement par des élus, mais aussi par les riverains qui, à la sonorité du mot social, se regroupent pour faire circuler des pétitions et si elles ne sont pas suffisantes recourent à la justice pour tenter de faire annuler les permis de construire.
L’indifférence à l’autre traduit un entre soi constituant une barrière intangible à l’autre soi.
La mission d’Habitat et Humanisme est de mettre en œuvre la mixité sociale. Assez de ce mépris qui construit des murs en toute impunité au point d’assigner les plus fragiles dans un ailleurs qui n’est autre que le trottoir !
La fraternité, prise en compte, corrige ces accrocs du tissu social qui déchirent l’égalité, l’impossibilité de se loger décemment et la liberté de choisir son toit.
Comme sont justes les mots de Martin Luther King : à ne point vivre ensemble comme des frères, nous finirons comme des fous.
La mixité sociale est une sagesse incomprise, pour le moins piétinée.
Il est hors de question, malgré les difficultés auxquelles nous nous heurtons en raison de la spéculation foncière, que nous abandonnions le combat. Il est permanent, mais n’est-il pas celui de la justice qui n’a jamais été aussi difficile quand il touche le logement.
- Quelles seraient vos propositions prioritaires pour le futur nouveau ministre du logement ?
- Maîtriser le foncier pour redonner à la mixité, actuellement en recul, une nouvelle acuité.
Bâtir la mixité pour réveiller à la fraternité.
Une lutte contre la spéculation et l’enrichissement sans cause s’impose.
Est-il juste que les propriétaires fonciers qui bénéficient d’importants investissements publics de l’Etat et des Collectivités locales voient soudainement l’explosion de la valeur de leur patrimoine foncier. Dans toutes les métropoles et en Île-de-France, notamment l’opération du « Grand Paris », le sujet revêt une acuité toute particulière.
Ces rentes ne peuvent pas se pérenniser tant elles créent des iniquités.
Acter durablement que l’article 55 de la loi SRU devra répondre à une exigence sociétale de loger les plus vulnérables pour 25 % et les classes moyennes pour ce même pourcentage entraînera nécessairement – et c’est heureux – une baisse des charges foncières.
La prise en compte de la finalité de l’acte de construire se révélera alors un régulateur des prix, à charge pour les Communautés d’Agglomération d’intervenir là où les transactions sont opérées dans des conditions déraisonnables.
Rappelons que 70% de la population est éligible au logement social. Il ne suffit pas de rechercher un choc du logement, il convient de s’interroger pour qui, afin de mettre en exergue les urgences et par là même les priorités.
Une telle orientation impactera ipso facto les charges foncières pour les rendre plus raisonnables, la Collectivité se gardant un droit de régulation dans l’hypothèse où ces logements intermédiaires ne seraient pas réalisés faute d’un prix du foncier excessif.
Un des risques de cette mesure – fût-elle juste – est la rétention des terrains. Les Pouvoirs Publics n’ont-ils pas pour mission de désarmer la violence que constitue le mal-logement en agissant, si nécessaire, par une fiscalité ad hoc.
Si la fraternité est souvent oubliée, c’est que peut-être nous avons perdu le sens de l’humain. L’heure n’est surtout pas de tenter une nouvelle fois de détricoter cette loi, ce qui serait une provocation et une insulte à l’égard des plus pauvres.
- La réduction de la vacance des logements en fléchant leur ouverture à destination des foyers hébergés.
Comment ne pas partager l’inquiétude du devenir des personnes hébergées, plus de 200 000 en France. Nous ne saurions ici le reprocher à l’Etat, saluant l’effort qu’il a entrepris aux fins de mettre à l’abri les plus vulnérables.
Force est de constater que les toiles de tente essaiment dans les villes et métropoles. La pauvreté connaît une telle visibilité qu’elle participe à l’accablement de la Société, pensant que la Nation est désarmée devant le malheur d’une montée inexorable de la misère.
Or, 320 000 logements sont vacants dans les villes, là où la demande d’un toit est la plus forte.
L’heure n’est pas de jeter l’opprobre sur quiconque, conscients que nombre de bailleurs ont renoncé à la location de leurs biens afin d’éviter tout contentieux pour n’avoir pas les moyens et toujours le savoir-faire pour recueillir les subventions facilitant les travaux de réhabilitation.
Les bailleurs, pour plus de 60%, gèrent directement leurs biens sans avoir recours à des professionnels. La question est comment les rejoindre.
320 000 logements vacants dans les quartiers anciens en cœur de ville, plus de 200 000 foyers appelés à sortir de leur hébergement, s’ouvrent ici des marges de manœuvre.
Quelles réponses possibles ?
En proposant à ces propriétaires d’apporter à des foncières solidaires à titre onéreux le bien inoccupé. Au terme de cette transaction, devenant associés de l’entité portant le patrimoine, ils bénéficieront d’une souscription qui, en l’état des dispositions fiscales, offre une réduction d’impôt de 25% au titre de l’IRPP.
Ce patrimoine est à réhabiliter ; il serait assez juste que cette réduction d’impôt soit majorée de 15% à 20% dès lors que ces porteurs de parts s’engageraient au développement du logement très social (Prêt PLAI et PLUS) acceptant à ce que la liquidité de leurs titres n’intervienne pas avant une période de 15 années, à courir du jour de la souscription.
Ce patrimoine, appréhendé par les foncières, serait affecté prioritairement, voire exclusivement, à la sortie des ménages relevant de l’hébergement.
Une difficulté concerne les personnes hébergées en souffrance psychique, d’où un suivi médical en lien avec le dispositif de l’aide à la vie partagée.
La gestion de ces logements est délicate pour s’inscrire essentiellement dans le diffus, mais cette observation n’en annihile pas pour autant la perspective.
- Selon vous avec Habitat & Humanisme, comment concilier transition énergétique et justice sociale ?
Les plus fragiles de notre Société supportent des charges de chauffage très lourdes, épargnant les populations aisées disposant d’un habitat prenant en compte la maîtrise énergétique, jusqu’à bénéficier de charges passives ou qui s’en rapprochent.
Quand les personnes n’habitent pas un immeuble collectif ou ces copropriétés dégradées, plus d’1,5 Millions de logements en France.
3,5 Millions de nos concitoyens déclarent souffrir du froid. Près de 400 000 d’entre eux supportent un taux d’effort quant aux charges énergétiques représentant plus de 10 % de leurs ressources. Imaginons alors le reste pour vivre, d’où une pauvreté qui fait basculer dans la misère.
Ne pas agir sur ces « bouilloires énergétiques » qui ne sont pas sans faire bouillir une juste colère, n’est-ce pas participer à une non-assistance de ceux confrontés à la souffrance sociale.
Les chiffres parlent ; il s’agit de les entendre et comprendre l’urgence de cette transition énergétique, facteur de justice.
- En matière d’habitat, vous vous dressez contre la formule institutionnelle de « placer les gens » alors que vous défendez la cause d’aider les gens « à trouver leur place »: Expliquez-nous ?
« Placer les gens », c’est choisir à leur place, les situer dans une situation de dépendance sociale leur faisant comprendre qu’ils n’ont pas d’autres choix que d’aller là où la Société les conduit.
Dans de telles conditions comment disposer de ce minimum de liberté autorisant des propositions raisonnables qui, sans faire tomber toutes les contraintes, permettent de trouver enfin sa place pour se voir reconnaître la possibilité de choisir.
Noël Arnaud dans son livre : « l’Etat d’ébauche », je suis la place où je suis.
Faire place à ceux qui ne l’ont pas ou plus, c’est prendre la mesure de la mixité pour mettre en œuvre ce « vivre ensemble » sans lequel il n’y a pas de cohésion sociale.
- Vous avez une vocation de prêtre et d’entrepreneur social, quels sont vos motifs d’espoir ou d’inquiétudes, vous qui êtes maintenant un retraité observateur et actif ?
L’espoir, plus exactement l’espérance, pour reprendre la définition de Georges Bernanos, est un risque à courir.
Ce risque est l’aventure de la liberté qui induit la recherche du sens trouvant un écho singulièrement partagé.
Réserve fait du passage de ce sens pour soi, au sens de l’autre, s’ouvre une perspective de changer notre Société qui comprendrait que l’urgence n’est pas de renverser la table, mais de l’agrandir afin que ceux qui n’ont que les miettes puissent aussi et enfin reconnaître qu’ils sont invités.
L’heure n’est pas celle des festins mais de la sobriété.
Alors que d’aucuns ne manquent de rien, croulant sous les superflus, d’autres n’ayant rien, jusqu’à penser qu’ils ne sont rien s’effondrent dans un tel accablement que l’idée même de la Nation se fissure
Vous voulez bien rappeler ma vocation de prêtre et d’entrepreneur social, je ne saurais mieux la résumer que par ces mots de Saint-Exupéry dans « Pilote de guerre » : quiconque porte dans le cœur une cathédrale à bâtir est déjà vainqueur. La victoire est fruit de l’amour. L’intelligence ne vaut qu’au service de l’amour.
Merci pour votre interview qui permettra peut-être de mieux faire comprendre les engagements d’Habitat et Humanisme.
Bernard Devert
Août 2024
