Sans habitat, il n’y a pas d’humanisme. Il faut être attentif aux mots, habiter, c’est bien plus que loger. Les plus fragiles n’y parviennent pas ou peu. Le refus d’un toit, c’est parfois le rejet à la rue avec toutes les violences qu’elle cause, c’est être condamné à rejoindre un squat ou un logement indigne. Que de pertes d’estime de soi dont la sortie est difficile.
La Société ne saurait se mettre à distance de telles situations. N’a-t-elle pas voté une loi qui l’honore pour rendre opposable le droit au logement. Seulement, quel écart entre la noblesse de ce texte et son application.
L’abîme concerne, à date, 110 224 ménages reconnus éligibles au titre du DALO dont 400 sont en attente depuis 2008 – 17 ans d’attente ! Les chiffres ne parlent plus ou peu ; ils sont pour le moins vite oubliés pour ne pas voir les visages de ceux qui ont cru et espéré dans un Etat qui, s’il a su prendre de justes mesures législatives, s’en libère par le jeu des pénalités.
Quand l’opposabilité d’un droit se résout ainsi, c’est finalement une Société qui se contente de bonnes intentions ; elles ne pavent pas seulement l’enfer mais aussi, tristement, nos rues, nos trottoirs.
Pourquoi un tel constat est-il toléré sans que les consciences se lèvent. Il ne s’agit pas de faire entendre de la colère, fut-elle juste, mais de faire comprendre que l’inacceptable ne peut et ne doit plus perdurer.
Assez de ces logements vacants dont le nombre, sur ces sept dernières années, a augmenté de 423 000. La fiscalité a bougé, les pénalités sont passées pour la même période de 80 M€ à 271 M€ sans arrêter la progression de ce phénomène.
Faut-il se taire, pour se faire les thuriféraires d’un silence occultant le drame de centaines de milliers de nos concitoyens dont la vie est saccagée pour devoir attendre, attendre encore qu’une porte s’ouvre.
La rue, si elle fait bien des victimes, assassine l’espérance, d’où une mort sociale. Ce drame touche-t-il vraiment l’opinion ; elle s’est habituée à la crise du mal-logement qui dure et s’aggrave. Il est pourtant rappelé que 20% des étudiants se privent de nourriture pour faire face à des loyers sans cohérence avec leurs ressources. Que de familles monoparentales, parfois abandonnées, se voient orientées vers des logements dans des quartiers paupérisés, les plongeant dans de nouvelles difficultés, à commencer par celles de l’éducation de leurs enfants.
Que de SOS reçus, sans possibilité d’être là pour apporter ce minima d’humanisme que représente un logement digne. L’offre est insuffisante.
N’acceptons pas qu’à ce drame, touchant ces êtres déjà désemparés, s’ajoute l’idée qu’ils sont responsables de la situation qu’ils subissent.
A juste titre, la Société s’est emparée, il y a déjà 25 ans (1999) de la question de la fin de vie. Là encore, une loi qui mérite d’être saluée ; seulement que d’attente, là encore, pour les soins palliatifs, plus de 50 % des patients qui en auraient besoin en sont exclus.
L’attention à la fin de vie dans le champ du palliatif ne devrait-t ’elle pas se révéler un enjeu pour que l’esprit qui l’anime s’inscrive tout au long de la vie, témoignant du respect inconditionnel de tous les êtres.
Le refus de l’abandon signe l’humanisme.
Plus de 200 000 personnes, chaque année en France, tentent de mettre fin à leurs jours, 100 000 doivent être hospitalisées. Une des causes premières est l’isolement, ce ressenti d’être rien, le mal-logement y participe singulièrement.
L’humanisme, vigilance contre l’indifférence, s’il appelle des lois, demande qu’elles soient vraiment mises en œuvre, sans oublier le formidable tissu associatif qui mériterait d’être mieux reconnu pour savoir tisser les liens par une écoute, celle-là même qui fait exister autrement. Là, commence l’ouverture d’une troisième voie.
Bernard Devert
Juin 2025
