L’Ange partit en pleurant

Ce titre reprend la légende de Grouchenka dans les Frères Karamazov. Comment ne pas pleurer devant les atrocités que subissent les habitants de Gaza, de l’Ukraine ; les murs tombent, l’humanité s’effondre. Chez nous, ne voyons-nous pas ces familles, ces enfants qui vivent sur des trottoirs ou dans des squats. Il y a peu de larmes.

Pleurer pour que les larmes viennent laver les regards assombris par l’indifférence et la promptitude à trouver des alibis et ces discours qui n’arrêtent aucune des horreurs dénoncées, se contentant d’un « plus jamais ça ».

L’indignation est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Quand, enfin, comprendra-t-on que seul l’amour sécurise.

En ce jour de la Toussaint, suivi de celui de la commémoration de ceux qui nous ont quittés, il nous faut constater la tragédie d’une humanité incapable de défendre la vie, s’habituant, qui plus est, à cette information quotidienne qui s’abat sur nous, sans que nous soyons vraiment accablés, alors que tant d’êtres sont détruits par un obscurantisme mortifère et des intérêts inavouables.

Il est de ces patiences assassines qui font de nous les complices du mal. L’ange partit en pleurant, non pour déserter les drames mais pour nous rejoindre afin de nous mobiliser. Les Béatitudes nous enjoignent d’entrer en résistance, heureux les artisans de justice.

Moi-même, je dois m’interroger : qu’ai-je fait au regard de tous ces frères et sœurs dont l’absence de logements et/ou de leur indignité sont une des causes de ces morts sociales qui détruisent les plus vulnérables.

A cette mission pleinement humaine, nous sommes appelés pour ne point déserter l’exigence séculaire de l’assistance à personne en danger. Qu’as-tu fait de ton frère ?

Il nous faut sans doute guérir de nos cataractes pour voir les choses telles qu’elles sont. En les regardant en face et faire face, peut-être alors pleurerons-nous, mais pleurer, ce n’est pas gémir, se lamenter, c’est s’inscrire dans une clarté pour changer ce qui peut et doit l’être.

Dans le continuum de ma chronique précédente, je vous proposais cette semaine d’évoquer trois propositions :

  • bâtir avec un aménagement adapté sur des friches, sachant que plus de 2 500 hectares sont disponibles en Région Ile-de-France, là où la situation est la plus cruciale pour les personnes en attente d’un logement,

  • mobiliser l’épargne privée : plus de 2 100 milliards sont actuellement investis en placement liquides, numéraires et dépôts. Une part substantielle ne devrait-elle pas être orientée vers la construction du logement abordable, ces opérations nécessaires et urgentes bénéficieraient d’un régime fiscal introduisant un amortissement significatif du bien.

Aucune aberration dans cette approche, le marché du logement quand il ne dispose pas de béquilles s’effondre. Les plus pauvres en sont les premières victimes.

  • réduire la vacance des logements : 400 000 en Ile-de-France et dans les grandes Métropoles.

Ce projet, présenté en juin par Habitat et Humanisme lors de l’Université de la Ville de Demain, sous l’égide de la Fondation Palladio, a fait l’objet d’une attention des pouvoirs publics.

L’économie sociale et solidaire est déterminée à participer à ce défi, sachant que pour débloquer la situation, l’usufruit devrait faire l’objet d’une défiscalisation dans les mêmes conditions qu’un apport en espèces au sein des foncières solidaires.

Ces trois propositions traduisent un partenariat public-privé à développer, relevant de ce « droit à vivre décemment » auquel les plus fragiles ne sauraient être écartés, ce qui malheureusement n’est pas la situation qui leur est réservée.

Arrêtons de penser que l’immobilier est une charge pour lui reconnaître qu’il est un investissement qui, enfin réalisé à destination des plus vulnérables, éviterait bien des drames, coûteux sur le plan humain et onéreux pour les finances publiques.

L’heure est d’énoncer des propositions crédibles, fussent-elles difficiles afin que l’esprit de service « prenne la main » sur une économie entravée par sa financiarisation.

Bernard Devert
Octobre 2025

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