L’accompagnement, chemin de fraternité

La richesse d’Habitat et Humanisme, toutes branches confondues, est celle de l’accompagnement. Vous agissez non seulement pour bâtir, mais pour que cet acte de construction vienne corréler les biens avec les liens.

Le mot accompagnement est ambigu, il ne saurait naturellement traduire une volonté de pouvoir sur l’autre mais une attention à l’autre, et ce quelle que soit son histoire.

Briser l’indifférence est une des conditions pour ensemble se lever, se relever.

Le devenir de l’autre fait surgir une intranquillité, sauf à ne rien voir ni entendre ? restant dans un entre-soi pour mettre hors-jeu l’idée de la différence. Il n’y a pas de plus sûr moyen pour envoyer les plus fragiles dans l’errance.

Oscar Wilde, qui après avoir connu les honneurs, fut condamné à des travaux forcés. Personne n’était venu à son procès, aucun des siens, seulement un ami, lequel lui exprima un signe si respectueux et chaleureux qu’il en garda une présence qui lui permit de tenir tout le temps de sa privation de liberté.

La mémoire de ce geste fut pour lui un accompagnement qui le mit à distance de l’abîme du désespoir.

L’accompagnement, un travail – à dessein je retiens ce mot – pour inviter celui qui l’assume à être un passeur d’espérance, comme l’ami d’Oscar Wilde, vigilant à la fragilité dans cette attention à plonger dans sa propre fragilité.

L’accompagnement, c’est risquer un détour par ce qui interroge. La vie fait des signes dans l’humilité de ceux qui savent s’incliner. La rencontre n’a lieu que si l’on se baisse.

L’approche de l’autre ne se fait pas sans un minimum d’empathie. Alors surgissent des possibles à commencer par ceux de l’échange. Eclaireront-t-ils l’avenir pour l’un ou pour l’autre ? Là se présente un inconnu dans un passage introduisant le dévoilement d’une certaine reconnaissance de l’autre et plus encore de la reconnaissance de soi.

Le chemin est parfois long, jonché d’inévitables lassitudes et incompréhensions qui conduisent chacun à des croisées ; ici on se quitte, ou bien on poursuit, mais dans ces deux approches, rupture ou continuation, quelque chose a déjà changé.

Oui, l’accompagnement est une aventure autant qu’une ouverture d’où la nécessité d’un discernement. Le passeur est parfois submergé par ce qu’il saisit de l’autre ou de lui-même pour être renvoyé à ses propres limites. Alors se dessine un appel à être, un appel de l’Etre qui, inévitablement, transforme et transfigure.

L’association Habitat et Humanisme s’est créée à partir de la rencontre d’une personne vulnérable, handicapée en raison de l’âge, qui tenta de mettre fin à sa vie faute d’obtenir un logement décent dans le quartier qu’elle habita pendant plus de 75 ans dans un vieil immeuble, frappé un jour d’un arrêté de péril.

Ce péril n’était pas seulement celui des pierres, mais le sien pour se voir oubliée ; elle avait vécu seule, personne ne lui manifestait de l’attention. Pourquoi alors vivre …

Quittant le service d’urgence où elle était hospitalisée, je me libérais dans le même temps de toute idée de gagner de l’argent via l’acte de construction, pour donner naissance à Habitat et Humanisme.

Cette rencontre fut celle d’un passage dont le passeur était celui qui était le plus fragile se révélant paradoxalement le plus créateur.

Nombreux, avons été marqués par ce téléfilm qui introduit le drame de l’autisme : tu ne tueras pas, avec Samuel Le Bihan diffusé par France 2. Magnifique plaidoirie de cet avocat qui se termine en se tournant vers l’accusé sans se détourner des jurés leur disant : vous la condamnerez à la compassion.

Tout accompagnement est recherche d’un équilibre entre justice et compassion. Justice, pour rétablir dans leurs droits ceux qui les ont perdus jusqu’à perdre l’estime de soi mais aussi compassion, ce supplément d’âme qui ne repose ni sur le juridique, ni même sur l’équité stricto sensu, mais sur une relation sans calcul ouvrant sur des espaces intérieurs protégés par la tendresse.

Ces espaces n’ont pas à être définis. Ils sont au cœur de l’accompagnement culturel, social, du soin. Peut-être avons-nous observé que la Ministre de la Santé en annonçant un financement d’1 Md € pour la fin de vie ne parle pas de soins palliatifs, mais d’accompagnement et même de maisons d’accompagnement, espaces d’hospitalité.

Qui peut vivre sans être aidé. L’interrogation fait surgir le sens profond et vital de l’accompagnement, une source de vie.

Bernard Devert
Avril 2024

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