Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait …

Nous connaissons cet adage, fort dommageable tant il fige les relations entre générations.

Or, que de jeunes témoignent de leur enthousiasme pour créer ! Que d’aînés, parce qu’ils savent, concourent à des ouvertures qui participent à des actes de création ! Entreprendre n’est-ce pas toujours apprendre. Ecouter, échanger, autant de possibilités pour donner à la vie la trace d’une ouverture, souvent celle d’une belle aventure.

Arrêtons de faire de l’âge des frontières qui n’ont pas lieu d’être ; la vie est un mouvement fait de rencontres souvent inattendues mais, ô combien, riches d’humanité.  

Nous en avons encore fait l’heureuse expérience en ce mois de novembre lors d’une grande réunion par visio – et nos aînés étaient loin d’être absents – rassemblant des soignants, des soignés accompagnés de leurs proches, et des jeunes, volontaires, investis dans nos Ehpad pour 8 à 12 mois, via l’Agence Nationale du Service Civique.

Plus de 400 personnes étaient connectées lors de cette rencontre présidée par un grand témoin de la solidarité, Mme Béatrice Angrand, Présidente de cette Agence Nationale du Service Civique.

Une des doyennes de nos maisons, Simone, âgée de 103 ans, Présidente d’un Conseil de la Vie Sociale, et membre à ce titre du Conseil d’Administration d’H&H Soin a fait un compte-rendu très intéressant de cette réunion.

En quelques mots, elle note l’intérêt d’un tel rendez-vous, soulignant que nos maisons ne sont pas isolées, tel était bien un de nos objectifs. Notre doyenne regrette cependant que les soignants, résidents et membres du CVS ne se soient pas exprimés suffisamment, mais elle comprend que tout ne pouvait pas être dit en 2h30.

Avec l’humour qu’on lui connaît et sa sagacité, elle a ces mots : la parole a été donnée aux grands ! Elle l’exprima avec un sourire qui fait chaud au cœur.

En 10 ans, le Service Civique a accueilli 650 000 jeunes. Pendant la crise de la Covid (2019 à 2021), le nombre de volontaires auprès des personnes âgées est passé de 370 à 1 500.

Une telle ouverture apporte de précieux soutiens aux soignants, qui se sentent reconnus pour accompagner, transmettre un savoir-faire et un savoir-être. Ouvrir grand les portes des maisons du grand âge, c’est ouvrir celles de la sagesse et de l’audace : là se fait entendre un appel : nous avons besoin de vous. Les âges se rencontrent, j’ose même dire qu’ils s’embrassent.

Vous sentez combien cette reconnaissance ouvre des lieux souvent trop fermés, créant des liens entre les générations. Il s’en suit une société plus attentive et plus solidaire.

Un autre aspect positif est l’attention portée à ces jeunes qui s’interrogent souvent sur leur avenir. Donnant 8 à 12 mois de leur temps dans un volontariat, ne sont-ils pas habités par cette recherche du sens à un moment où il leur faut faire des choix de vie. L’activité du soin et plus généralement celle du service ne répond-elle pas à cette question jusqu’à vivre cet engagement conduisant au service de l’autre pour avoir le goût de l’autre.    

Lors de cette réunion, un mot merveilleux a été largement partagé, celui du ré-enchantement ; il émane conjointement des jeunes et des aînés, tous heureux de ces relations traversées par la confiance qui autorisent parfois bien des confidences mettant en œuvre des complicités, jamais étrangères à la solidarité.

Quelle chance d’entendre de tels propos. Ils dynamisent les liens et dynamitent les lieux communs qui accablent. Le meilleur âge de la vie n’est-il pas celui à partir duquel on fait advenir un inespéré. L’âge, quel qu’il soit, ne saurait interdire cette espérance. Quelle joie d’avoir pu toucher cette réalité !

Il m’est une joie de vous la partager.

Bernard Devert

Novembre 2022

La finance solidaire, une « quille » pour la fraternité

Le baromètre de la finance solidaire est au beau-fixe. Une météo encourageante pour envisager des traversées plus longues, aux fins de hisser les voiles vers des caps de « Bonne Espérance ».

Certes, les embarcations sont encore très petites, trop, mais elles ne cessent de prendre une certaine dimension pour représenter près de 25 Md€ au 31 décembre 2022.

La présente semaine (du 7 au 14 novembre) sera un temps fort pour l’économie solidaire. A Lille, notamment mais pas seulement, se tient une manifestation sous l’égide de France Active, la Banque des Territoires, Mirova, au terme de laquelle seront décernés les Grands Prix de la Finance Solidaire dont Habitat et Humanisme fut lauréate ; n’en est-elle pas l’un des pionniers.

La finance solidaire n’a cessé depuis sa création de se développer, observant que davantage la question du sens interroge nos concitoyens, plus elle suscite de l’intérêt et recueille des adhésions (plus d’un million en 2022).

Il faut saluer dans ce développement l’engagement des entreprises et de leurs salariés qui investissent une quote-part de leur rémunération dans les fonds de l’épargne salariale solidaire représentant un encours global de 75 % des capitaux investis dans cette forme d’économie.

L’économie, la solidarité, un oxymore ! Ces deux mots semblaient ne pas pouvoir faire attelage. Voici qu’ils s’unissent, conférant à la finance une magnifique mission, celle de la transformation sociale.

Il nous souvient de l’interpellation du Baron Louis : « faites-nous une bonne politique et je vous ferai de bonnes finances » ; encore faut-il la définir. Ce qui est bon, c’est ce qui permet de briser l’attente insupportable d’un toit, évitant ainsi bien des amertumes et des souffrances qui font des vagues engloutissant l’espoir.

Sans cette finance solidaire Habitat et Humanisme n’aurait jamais pu loger plus de 40 000 foyers qui, abandonnés, ont pu trouver un logement dans un quartier équilibré, les éloignant de cités paupérisées au sein desquelles ils n’osaient espérer cet habitat si nécessaire à l’égalité des chances.

Un renversement est intervenu pour observer que c’est à partir de bonnes finances qu’une politique sociale peut se bâtir pour réduire la violence inacceptable qu’est la misère. Longtemps, il fut sage de distinguer et même de séparer le business de la solidarité, laquelle désormais s’introduit dans le champ entrepreneurial.

Comment ne pas saluer l’attention réservée à une économie qui introduit la notion du bien commun ; pendant longtemps l’acte d’entreprendre a conduit à se réunir pour partager les bénéfices qui pourraient en résulter, suivant la définition du Code Civil. Désormais, d’aucuns se rapprochent pour faire naître des projets dont la finalité n’est pas de gagner pour soi, mais de faire gagner ceux qui se trouvent au bord du chemin, souvent en errance.

La finance qui depuis des lustres a toujours recherché des sécurités – rappelons-nous l’adage : on ne prête qu’aux riches – se laisse toucher par les situations de fragilité se révélant sœurs du changement.

Il n’y a pas de sécurité là où il n’y a pas de justice, ou encore, là où l’attention à l’autre est dépourvue de bienveillance, du prendre-soin et plus encore de sollicitude.

Qui aurait pu penser que l’économie éveillerait des relations apaisées pour être équitables ; tel est le défi que l’économie solidaire relève. Elle suscite une planète inattendue ; ne serait-elle pas celle visitée par le Petit-Prince où il rencontre l’allumeur de réverbère. Il est le seul, dit-il, dont j’eusse aimé être l’ami.

Un grand acteur de l’économie solidaire la nomme l’économie cordiale ; comme l’expression est juste.

Cette planète peut apparaître pour beaucoup très lointaine, un espoir. Cependant, ne brise-t-elle pas le miroir où l’on ne voit que soi pour donner à voir un autrement venant chahuter des certitudes pour laisser place aux convictions réveillant un avenir, et quel avenir, celui de la fraternité.

Comment ensemble ne pas entrer dans cet investissement du partage.

Bernard Devert

7 Novembre 2022

La finance solidaire, une « quille » pour la fraternité

Le baromètre de la finance solidaire est au beau-fixe. Une météo encourageante pour envisager des traversées plus longues, aux fins de hisser les voiles vers des caps de « Bonne Espérance ».

Certes, les embarcations sont encore très petites, trop, mais elles ne cessent de prendre une certaine dimension pour représenter près de 25 Md€ au 31 décembre 2022.

La présente semaine (du 7 au 14 novembre) sera un temps fort pour l’économie solidaire. A Lille, notamment mais pas seulement, se tient une manifestation sous l’égide de France Active, la Banque des Territoires, Mirova, au terme de laquelle seront décernés les Grands Prix de la Finance Solidaire dont Habitat et Humanisme fut lauréate ; n’en est-elle pas l’un des pionniers.

La finance solidaire n’a cessé depuis sa création de se développer, observant que davantage la question du sens interroge nos concitoyens, plus elle suscite de l’intérêt et recueille des adhésions (plus d’un million en 2022).

Il faut saluer dans ce développement l’engagement des entreprises et de leurs salariés qui investissent une quote-part de leur rémunération dans les fonds de l’épargne salariale solidaire représentant un encours global de 75 % des capitaux investis dans cette forme d’économie.

L’économie, la solidarité, un oxymore ! Ces deux mots semblaient ne pas pouvoir faire attelage. Voici qu’ils s’unissent, conférant à la finance une magnifique mission, celle de la transformation sociale.

Il nous souvient de l’interpellation du Baron Louis : « faites-nous une bonne politique et je vous ferai de bonnes finances » ; encore faut-il la définir. Ce qui est bon, c’est ce qui permet de briser l’attente insupportable d’un toit, évitant ainsi bien des amertumes et des souffrances qui font des vagues engloutissant l’espoir.

Sans cette finance solidaire Habitat et Humanisme n’aurait jamais pu loger plus de 40 000 foyers qui, abandonnés, ont pu trouver un logement dans un quartier équilibré, les éloignant de cités paupérisées au sein desquelles ils n’osaient espérer cet habitat si nécessaire à l’égalité des chances.

Un renversement est intervenu pour observer que c’est à partir de bonnes finances qu’une politique sociale peut se bâtir pour réduire la violence inacceptable qu’est la misère. Longtemps, il fut sage de distinguer et même de séparer le business de la solidarité, laquelle désormais s’introduit dans le champ entrepreneurial.

Comment ne pas saluer l’attention réservée à une économie qui introduit la notion du bien commun ; pendant longtemps l’acte d’entreprendre a conduit à se réunir pour partager les bénéfices qui pourraient en résulter, suivant la définition du Code Civil. Désormais, d’aucuns se rapprochent pour faire naître des projets dont la finalité n’est pas de gagner pour soi, mais de faire gagner ceux qui se trouvent au bord du chemin, souvent en errance.

La finance qui depuis des lustres a toujours recherché des sécurités – rappelons-nous l’adage : on ne prête qu’aux riches – se laisse toucher par les situations de fragilité se révélant sœurs du changement.

Il n’y a pas de sécurité là où il n’y a pas de justice, ou encore, là où l’attention à l’autre est dépourvue de bienveillance, du prendre-soin et plus encore de sollicitude.

Qui aurait pu penser que l’économie éveillerait des relations apaisées pour être équitables ; tel est le défi que l’économie solidaire relève. Elle suscite une planète inattendue ; ne serait-elle pas celle visitée par le Petit-Prince où il rencontre l’allumeur de réverbère. Il est le seul, dit-il, dont j’eusse aimé être l’ami.

Un grand acteur de l’économie solidaire la nomme l’économie cordiale ; comme l’expression est juste.

Cette planète peut apparaître pour beaucoup très lointaine, un espoir. Cependant, ne brise-t-elle pas le miroir où l’on ne voit que soi pour donner à voir un autrement venant chahuter des certitudes pour laisser place aux convictions réveillant un avenir, et quel avenir, celui de la fraternité.

Comment ensemble ne pas entrer dans cet investissement du partage.

Bernard Devert

7 Novembre 2022

Quand l’acte de construire se révèle un acte de transformation sociale

L’humanisme n’est pas une idéologie mais une façon d’être qui suscite une raison d’être.

Une façon d’être marquée par la bienveillance et à l’attention à l’autre, naissance d’une plus grande fraternité.

Le Monde du 11 octobre a publié un reportage sur l’activité qu’Habitat et Humanisme développe dans les quartiers équilibrés pour en faciliter l’accès à des personnes en difficulté.

L’article a pour titre : La mixité sociale, ça s’accompagne.

La journaliste confirme qu’au sein de H&H, l’accompagnement est présent, relevant les obstacles que rencontre une famille monoparentale pour ne point parvenir à lier des relations avec ses voisins. La finale de l’article est terrible ; je n’espère plus, dit cette jeune mère, me faire des amis pour viser seulement l’indifférence polie.

Quel chemin à parcourir pour que la mixité – dès lors qu’elle est accompagnée – soit perçue pour ce qu’elle est, une ouverture et par là même une richesse.

Notre raison d’être : libérer des préjugés qui ne cessent de ‘cogner’ les relations au motif de n’avoir pas la même couleur, la même culture, les mêmes chances. Comment ne pas garder en mémoire le propos de Nelson Mandela ; être libre, dit-il, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres.

Quelle liberté quand le jugement de l’autre vous enferme jusqu’à vous faire ressentir que vous n’êtes rien.

Ce qui nous réunit, c’est ce combat pour la fraternité, constamment en débat. D’aucuns considèrent qu’elle est un idéal mais qu’il n’est pas atteignable. Or, nous sommes des milliers à l’imaginer possible, prenant le risque d’en bâtir les conditions pour que l’égalité des chances ne reste pas un mot vain.

Cette jeune mère, si elle espère seulement une indifférence polie, trouve intérieurement la joie d’habiter cet immeuble, offrant ainsi à ses enfants la possibilité d’accéder à un enseignement qui n’est pas étranger à l’égalité des chances.

Ne sombrons pas dans l’abandon des plus fragiles ; cette résignation serait ce que nomme Balzac, un suicide quotidien. Si nous sommes là, salariés et bénévoles, c’est pour être habités par une âme de résistant.

Que de raisons alors d’espérer.

Il y a 40 ans, l’idée de mixité apparaissait pour beaucoup un leurre ; désormais, malgré toutes les vicissitudes, elle traduit une heure solidaire qui éveille un avenir. Certes, majoritairement encore, nous entendons : moins d’utopie, plus de réel, un consentement à figer les relations. Ne sont-elles pas déjà suffisamment étroites.

La liberté est un mouvement qui conduit à l’ouverture de ces lieux qui créent des liens, telle l’opération réalisée à Paris, 310 avenue de Vaugirard, suscitant une interrogation émerveillée : c’était donc possible.

Nous ne planons pas mais, nous rêvons à un monde autrement. Il y a un autre monde mais il est dans celui-ci, dit Paul Eluard. Notre responsabilité est de le faire découvrir puisqu’il existe. Notre rôle :  ouvrir des chantiers dont la finalité est de construire non pour s’enrichir mais pour faire gagner en autonomie sociale ceux qui viendront habiter ces logements.

Si l’immobilier façonne trop souvent la ville, via des quartiers qui crient et parfois hurlent la stigmatisation, l’acte de construire peut se révéler un acte de soin et un formidable vecteur de changement.

Mesurons-nous la charge et la chance d’en être les bâtisseurs !

Bernard Devert

17 octobre 2022

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/10/logement-la-mixite-sociale-ca-se-pense-se-prepare-et-s-accompagne_6145096_3224.html

L’heure solidaire, un appel à entrer en résistance

Dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 octobre, nous gagnons une heure de sommeil pour reculer d’autant les aiguilles de nos montres.

Une heure gagnée ! Qu’allons-nous en faire, plonger la solidarité dans l’hivernation ? Serait-ce bien raisonnable quand nombre de nos concitoyens sont en recherche d’un toit à l’avant-veille de l’hiver pour se protéger de sa rigueur après avoir supporté celle des chaleurs de l’été.

Les conditions climatiques, quelles que soient les saisons, sont toutes aussi sévères pour le corps, sans que le corps social en soit affecté. Il s’est habitué au sens où l’exprime Péguy.

L’attente est longue pour disposer d’un logement très social, décent. Au fil des décennies, que d’appels désespérés venus de la rue : « où vais-je loger ce soir, ou demain ; je vous en conjure, j’ai des enfants, aidez-moi ».

Les heures passent avec les bonnes et mauvaises nouvelles, mais rien ne bouge vraiment !

Si ce changement d’horaire nous invitait à changer afin que s’éveille dans la nuit des plus vulnérables, une lueur laissant entrevoir la chance d’un possible auquel l’heure solidaire donne rendez-vous.

Dans ma précédente chronique, j’évoquais cette maman logée dans un quartier socialement équilibré après avoir été hébergée, trop longtemps, dans une cité paupérisée ; elle ne cache pas son bonheur de permettre à ses enfants d’accéder plus facilement à l’égalité des chances, mais elle s’attriste de ne pouvoir attendre de ses voisins qu’une indifférence polie.

Quelle en est la cause : sa couleur de peau ; une différence toujours pas acceptée ! Que de retards accumulés pour faire place à la fraternité.

A l’énoncé de ce constat, j’ai verdi, puis rougi de colère, d’où ma détermination renouvelée à bâtir des liens qui restaurent la réconciliation.

Cette lutte est une invitation à regarder ‑ à commencer en moi-même – ce qui est inachevé et lézardé. La plénitude se dessine là où la vie signe la bienveillance et une solidarité active ; alors, commence une avancée, une heure nouvelle, créatrice d’espérance.

Les aiguilles des montres et des horloges que nous avancerons nous aiguilleront-elles vers ce ferme refus de la passivité et de la patience au regard de ces maux qui agressent les plus fragiles.

L’heure solidaire, l’appel à entrer en résistance, quel combat ! il n’est jamais fini. L’accepter, c’est briser le miroir où l’on ne voit que soi, ou les mêmes, pour regarder résolument le réel tel qu’il est, en lui offrant l’immensité du possible, ce ‘nous’ bien décidés à agir

Quelle magnifique heure ! Ne la manquons pas, elle laisse la trace mémorielle d’un infini qui nous fait grandir en fraternité.

Bernard Devert

Octobre 2022

Ces vieilles pierres qui offrent à l’acte de bâtir une sagesse

Les cités se construisent au cours du temps, pierres sur pierres d’où un patrimoine qui en fait la richesse ; la ville, c’est aussi des femmes, des hommes et des enfants qui veulent y trouver leur place.

Ainsi, se font jour des tensions, voire des conflits, entre les hommes et les pierres. Ces dernières seraient-elles plus importantes que les êtres vivants. Il y a un pas trop vite franchi ; un équilibre doit être recherché.

Vivre, c’est entrer dans une histoire. Les siècles ne nous laissent-ils pas l’héritage d’une sagesse qu’il convient de ne pas saccager.

Un couple l’a singulièrement compris pour avoir créé la renaissance du vieux Lyon ; il s’agit de Annie et Régis Neyret qui, en 1998 ont obtenu l’inscription de la ville au patrimoine de l’Unesco.

La semaine écoulée leur nom été donné au marché de la création, appelé désormais promenade Annie et Régis Neyret.

Tous deux sont habités par la même passion : donner vie au passé pour susciter un avenir. Ne nous étonnons pas de leurs liens avec André Malraux ; ils partageaient la même vision quant à la mémoire, un vecteur d’avenir.

Régis et Annie savaient tenir pour obtenir. Ils avaient le sens de la résistance, un mot qui n’est pas étranger à cette ville qui en est la capitale. Je cite ici Régis – « j’ai appris que l’on pouvait être cultivé sans avoir fait de longues études, admirer la tradition et se passionner pour la création ». Dès lors qu’on a des convictions, surgit le temps des possibles. Tous deux l’ont fait exister.

La gratuité de leur combat signe leur liberté. Ils ne cherchaient pas à plaire, ni à s’investir pour les honneurs. Ce qui leur importait était de ne pas bafouer l’histoire trop souvent blessée par les idéologies et les intérêts prosaïques et cupides qu’ils ne supportaient pas.

Ils n’ont brigué aucune place dans la Cité. Ils ont su faire entendre leur voix quand il le fallait, notamment pour s’opposer à cette folie s’emparant de constructeurs et de politiciens qui n’avaient d’autres perspectives que de faire couler du béton.

Un tel acte eut été meurtrier pour la ville. Régis et Annie l’ont écarté pour être de réels bâtisseurs. A ce titre, ils ont su être des acteurs de réconciliation dans une conscience aigüe que l’avenir ne se décide, ni ne se dessine dans des facilités, toujours destructrices de l’espoir.

Quelles étaient leurs armes : la tendresse, l’humour et l’humilité accompagnée d’une générosité désarmante, non dépourvue d’une certaine provocation, leur armure pour se défendre de toute entrave.

L’avoir n’avait pas de prise sur eux. Ils donnaient priorité à ce qui fait surgir l’honneur et le bonheur de se savoir les héritiers de toutes ces générations qui, patiemment, ont su bâtir un monde lui donnant des racines, ce « fil rouge » de leur vie, trace d’une solidarité efficiente et bien comprise.

Ce couple inséparable, qui souffrit de ne pas avoir d’enfants, eut une fécondité incomparable. Il sut découvrir le mystère de la profondeur de cette ville, en écouter les harmonies et apprécier les dissonances pour en faire des fulgurances.

Ils ont regardé comme ils se regardaient. Leur amour fut une invitation discrète, et là encore désarmante, à comprendre que tout ce qui monte converge vers l’essentiel.

Là où la pensée est habitée par le courage, naît l’inattendu de ces initiatives qui ont pour nom la créativité.

Ces deux voix qui se sont fait entendre au risque de bien des incompréhensions sont désormais justement reconnues comme celles qui, offrant à l’histoire toute sa place, construisent un trait d’union entre hier et aujourd’hui

Bernard Devert

Octobre 2022

Une inauguration qui augure d’une ville ouverte et humanisée

Le 20 septembre, Habitat et Humanisme avait le bonheur d’inaugurer la Maison Saint-Charles, 310 rue de Vaugirard dans le 15ème arrondissement de Paris. Une adresse – et quelle adresse – mais plus encore un lieu qui traduit une solidarité entre les générations et les personnes venant d’horizons différents.

L’argent n’est pas la clé de l’accès à ce site.

Les clés remises aux occupants ont la symbolique d’un sceptre, leur témoignant de leur éminente dignité.

La qualité du site de cette opération, outre le fait qu’elle s’inscrit dans un quartier résidentiel, a été conçue de telle façon que la construction, eu égard à sa destination, lézarde les murs constituant des frontières derrière lesquelles sont assignés les plus fragiles.

Que s’est-il donc passé pour que ce programme inattendu voie le jour.

La loi du marché a été contenue par des prophètes, n’ayons pas peur de ce mot, qui ont pris en compte le réel, sans se laisser cogner par lui, afin de faire naître un possible, celui-là même qui rassemblait les 150 personnes qui inauguraient cette maison.

Il nous souvient des mots de Lamartine : « le réel est étroit, le possible est immense ».

Là où est le cœur surgit, ce trésor d’immensité ; il laisse à chaque fois transparaître une volonté de changer et de faire changer ce qui doit et peut l’être.

Cette détermination, si essentielle et partagée, a suscité une unité et une convergence liées à l’engagement de cinq acteurs majeurs :

  • Les Dominicaines de la Présentation qui sous l’impulsion de leur Supérieure, Véronique Margron, décidèrent que leur site, à l’heure de sa reconversion, devait être le signe d’une fraternité.
  • La Nation, qui a su voter une loi « Solidarité et Renouvellement Urbains », posant les fondations de la mixité sociale afin qu’elle se dessine dans nos villes. Il nous souvient des mots du Pape François : « elles sont belles ces villes qui surmontent la méfiance maladive et qui intègrent ceux qui sont différents et font de cette intégration un nouveau facteur de développement ».
  • La Région de l’Ile-de-France, cette inauguration fut d’ailleurs placée sous la présidence de Mme Valérie Pécresse, pour avoir apporté un financement significatif.
  • La Ville de Paris, qui non seulement a signé les autorisations administratives, le permis de construire, mais a accompagné ce projet. Aussi, tenons-nous à remercier M Ian Brossat de sa participation chaleureuse.
  • Les mécènes et épargnants de l’économie solidaire dont la clé de l’investissement n’est pas la recherche de dividendes mais celle d’un soin pour ne pas laisser en souffrance la cohésion sociale trop souvent bafouée.

Saint-Charles est un « joyau » dont l’écrin est constitué par ce lieu qui donne lieu à des liens inattendus. Non seulement ils honorent nos valeurs républicaines mais ils créent aussi une passerelle avec les fondements judéo-chrétiens de notre civilisation.

L’acte du croire trouve ici une résonnance dans le fait que ces logements sont aussi l’expression d’une foi en l’homme. Cette reconnaissance n’est-elle pas naissance d’un monde plus humain qui comprend que ce n’est pas ce qui est fort qui est juste mais seul ce qui est juste.

Là s’introduit et, seulement là, une attention véritable à la fragilité, chemin de fraternité.

Ensemble poursuivons ! De telles réalisations confèrent à ce possible le signe d’une humanité qui, avec cœur, ouvre des portes.

Bernard Devert

Septembre 2022