Et si les crises traversées rappelaient l’urgence de la vérité pour faire société

Aux importantes mutations sociétales qui ne sont pas sans créer de l’inquiétude pour les personnes fragilisés, s’ajoutent les crises financières et économiques et, plus grave encore, une dévalorisation de la vérité pour être relativisée quand elle n’est pas bafouée.

Qu’est-ce-que la vérité ? Réduite à un concept elle est facilement contournée, sauf si elle est entendue pour ce qu’elle est, la condition d’entrer dans des relations justes. Certes, d’aucuns considèrent qu’elle est pour un autre monde. Paul Eluard ne nous rappelle-t-il pas que s’il est un autre monde, il est dans celui-ci.

La vérité se trouve moins qu’elle ne s’éprouve pour échapper à toute idée de possession. Source d’une création, elle ne se découvre qu’en s’éloignant de la démesure pour se laisser toucher par le fragile. Alors seulement, elle se propose à l’histoire de chacun.

Le premier résultat des élections municipales de ce dimanche souligne une lassitude, quand ce n’est pas un écœurement des successives politiques qui ont laissé s’installer un abîme au point d’avoir oublié l’urgente nécessité de faire société.

Les ruptures de la cohésion sociale ont suscité une sanction à commencer par celle d’une aggravation de la désaffection des urnes. Quelle attention a été portée à cette vérité objective que près de 15 millions des citoyens sont obligés de compter les quelques euros qui leur restent à la fin du mois. Quelle vigilance a été témoignée à ceux dont le reste pour vivre ne permet plus de se maintenir dans un logement social. Des territoires se sont senti abandonnés, exclus, notamment par un chômage massif des jeunes.

Cette abstention ne serait-elle pas signe de la désillusion.

Sans doute, l’endettement du Pays – qui est une faute collective, un mensonge largement partagé pour avoir joué la facilité en remettant à plus tard ses engagements – réduit les marges de manœuvre. La maturité des citoyens est plus forte qu’on ne le pense, mais pour ne pas l’avoir comprise, fut oubliée une parole claire suscitant un avenir. L’espoir déserte quand le mépris ou l’indifférence l’emporte sur le respect de la dignité qui est au cœur même de l’exigence de vérité.

Dans ce contexte de crise les orientations partisanes furent plus fortes que la recherche d’un modus operandi pour endiguer la précarité et la pauvreté.

La vérité ne s’inscrit que dans un discernement qui nécessite de regarder les faits tels qu’ils sont et non pas tels que nous voudrions qu’ils soient. Les lambris du pouvoir occultent la visibilité des fractures.

Si le politique a pour mission de privilégier le bien commun en mettant à leur place des intérêts particuliers, il lui faut du courage, de l’audace et une exemplarité pour trouver une majorité consentant à accepter de quitter ce qui est injuste, pour s’ouvrir à de nouveaux horizons.

La politique est une diaconie ; elle est vécue, soyons justes, par de nombreux élus mais les « affaires » ont saccagé la confiance jusqu’à faire naître cette formule délétère répétée à l’envi : ‘tous les mêmes’. Le vers est alors dans le fruit.

Le cynisme d’une minorité a entraîné des déviances au point que la promesse, au cœur même de la confiance, est difficilement habitée ; comment pourrait-il en être autrement quand on sait que de l’aveu de quelques puissants, elle n’engagerait que ceux qui l’écoutent.

L’auteur de la Pesanteur et la Grâce, Simone Weil, dit que ‘les biens le plus précieux ne doivent pas être cherchés mais attendus car l’homme ne peut les trouver par ses propres forces et s’il se met à leur recherche il trouvera à la place de faux biens : ils sont là, privilégiant  un individualisme et un mépris du réel, laissant les plus faibles au bord d’un chemin.

Quel bien peut sortir de ces élections mettant en exergue la montée d’une extrême droite au risque d’une mise à mal de la ‘fraternité’ pour jouer sur le registre de la peur et de la stigmatisation de l’autre, de celui qui est différent.

Le livre de l’humanité souligne que la vérité rend libre pour nous éveiller au souffle des grands espaces.

Notre malheur ne serait-il pas que ce souffle épuisé devienne un soupir jusqu’à mettre sur les lèvres des jugements tout faits, justifiant ce désir inavoué d’un individualisme destructeur de la relation.

Souvenons-nous de Dostoïevski : si l’on propose, dit-il, de choisir entre le bonheur et la liberté, le drame c’est que beaucoup choisiront le bonheur’.

L’heure est de retrouver un souffle aux fins de s’éloigner de ces replis identitaires et suicidaires qui se présentent précisément comme des ‘petits bonheurs’ sans avenir et sans joie.

Tout commence par la mystique, disait Péguy, tout finit par la politique. Sans doute entendait-il cette approche politicienne qui précisément déserte la recherche d’une vérité qui se conçoit comme un appel à prendre un chemin de crête ; les risques de l’emprunter sont réels mais à le déserter ils sont certains.

Va vers ton risque, à te regarder, ils s‘habitueront dit René Char.

Bernard Devert
Mars 2014

Jeu et hors jeu, les limites d’une ouverture à Caluire

Tout commença, ou selon, se poursuivit avec la décision de M. Philippe Cochet, Député-Maire, visant à mettre hors jeu la construction d’un projet social initié par les Sœurs Clarisses sur leur propriété à Vassieux, en lien avec Habitat et Humanisme.

Jouant la protection, le Maire mis sur la touche ce projet pour lui préférer une aire de jeux dans un environnement qui n’en manque pas.

Hors jeu les règles d’urbanisme votées par l’agglomération. Caluire jouerait-elle « perso » ?

Seulement c’était oublier la détermination de l’Abbesse, Sœur Marie, qui pour être sur un terrain spirituel et donc très humain, refusa cette décision arbitraire rappelant que « l’enfer c’est s’appartenir ».

Les Sœurs marquèrent un premier essai. Si la partie demeure incertaine, elle gagne en intensité.

Des caluirards ont proposé un autre jeu avec une petite équipe emmenée par Etienne Boursey, forte de 1 000 supporters (signature à guichet ouvert).

Lors du Conseil Municipal de ce lundi 2 juillet, l’élu écologique essuya une « volée de bois vert » de la part du Maire qui lui demanda de démissionner. Hors jeu au motif de déshonorer la commune pour soutenir l’accueil de « manants ».

Il est temps de siffler la fin de partie pour revenir sur un terrain plus solidaire. Il est de ces matchs où l’on se retrouve pour la joie d’une cause. Une telle partie est attendue, les joueurs sont tous meilleurs qu’ils ne l’ont laissé paraître.

Bernard Devert

Pour que le « vivre ensemble » devienne une réalité mieux partagée

Le mal logement fait trop de victimes, notamment des enfants dont l’avenir est souvent brisé.

Que de personnes en souffrance sont rejetées de la société pour ne pas avoir de toit ou ne disposer que d’un hébergement dégradé voire insalubre, dangereux pour la santé et la sécurité.

L’effort de chacun doit être renouvelé pour éradiquer ce drame.

La tentation est de se tourner vers l’Etat. Certes, il est de sa fonction régalienne d’assurer la
cohésion sociale mais la société civile a aussi ses devoirs et ses responsabilités pour parvenir à une société plus équilibrée, plus juste.

N’attendons pas la résolution de la pénurie des logements, d’un miracle institutionnel qui nous
dispenserait de nos engagements.

Difficile de fermer les yeux sur le fait que trop de logements sont vacants alors que de nombreux
ménages attendent parfois depuis des années un toit. Il y a là une situation si inacceptable que le
silence est une faute ; personne ne peut dire : je ne sais pas.

Refusant de s’installer dans la seule indignation, s’impose une mobilisation pour offrir les conditions d’un avenir plus humanisé.

Dans cette perspective, nous préconisons les quatre mesures suivantes :

1/ mise à disposition sans délai de tous les biens susceptibles d’être loués, souhaitant que soit donnée plus d’ampleur à l’opération « Propriétaires et solidaires » initiée par Habitat et Humanisme.
2/ renforcement des dispositions liées aux garanties locatives pour mieux sécuriser les bailleurs,
3/ application de la Loi Solidarité et Renouvellement Urbains (S.R.U) à toutes les communes de plus de 3 500 habitants pour qu’il n’y ait plus de territoires ségrégatifs. La République est une et
indivisible.

4/ révision des plans locaux d’Urbanisme (P.L.U.) dans les grandes agglomérations : les droits à construire augmentés de 25% à 30%, étant affectés d’une charge foncière maîtrisée pour une éligibilité aux financements très sociaux.

Ces modalités largement esquissées par les lois Engagement National pour le Logement et
Mobilisation pour le Logement et la Lutte contre l’Exclusion sont à notre portée, sous réserve que la détresse dans laquelle se trouvent trop de familles nous touche pour parvenir à susciter un «autrement » dans l’acte de construire et les priorités d’accès au logement.

Cet appel, nous le lançons de Lyon dans le cadre du 25ème anniversaire d’Habitat et Humanisme
avec tous ceux qui, attentifs à la fragilité, sont décidés à aller plus loin pour que le « vivre ensemble » devienne une réalité mieux partagée.

Bernard Devert
Le 10 mai 2011

Le logement ou la mise à découvert des exclus de l’économie

Les médias sont unanimes pour dénoncer la flambée des prix du logement. Les plumes fussent-elles de droite ou de gauche la stigmatisent, non sans justesse, comme « folie » ou « sommet du délire ».

De nouveaux records : au 3ème trimestre la hausse est en 2010 de 8,6 %, 12,6% en Ile de France et 13,6% dans Paris intra-muros où le prix moyen dépasse désormais les 7000 €/m². L’inquiétude étreint bien des familles. Les pauvres déjà largement exclus, voici que les classes moyennes connaissent une angoisse plus prégnante que nous le pensons. Selon un sondage, 60% des Français estiment qu’eux-mêmes ou un de leur proche peuvent devenir SDF.

Cette inquiétude, certes excessive, n’en est pas moins exprimée. Difficile de ne pas l’entendre pour mieux comprendre. Nous assistons à une dictature des prix pour ne plus être corrélés avec les revenus du travail. Une telle situation est littéralement inacceptable. Interrogeons-nous sur l’attention portée aux jeunes et à ces couples qui se forment sans parvenir à trouver de logement, ou encore à ceux qui à l’heure de la retraite n’ont plus les ressources nécessaires
pour garder leur appartement.

Dominique Versini, Défenseure des enfants, ancienne Secrétaire d’Etat chargée de la précarité et de l’exclusion, souligne que la pauvreté des enfants et de leurs familles n’intéresse guère l’Etat français : les naufragés de la vie ne trouvent pas assistance, ditelle.

L’Etat a sa responsabilité mais nos comportements individuels ont aussi la leur. Cette tyrannie des prix est cause d’un mal profond né d’un individualisme en dérive pour ne s’inquiéter que du « tout, tout de suite » ; aveuglement qui fait que l’on ne sait plus regarder pour ne voir que soi. Où va-t-on ? Comment savoir alors que l’arrogance de la possession délite les liens sociaux ?

Que d’élus, responsables d’association, citoyens, sont inquiets, constatant que les logements neufs, fussent-ils construits par les bailleurs sociaux, ne sont plus accessibles à ceux qui ont de faibles ressources. Ne serions-nous pas tombés sur la tête ? Sûrement, mais le drame c’est que chaque jour des personnes tombent.

Cette cime des prix nécessite des refuges en raison des abîmes qu’elle entraîne. En montagne, ces refuges suscitent un sentiment de sécurité ; en ville, ils traduisent un monde de réfugiés de plus en plus nombreux pour être les condamnés d’un « court termisme » financier.

Toute dictature entraîne des exils ; celle des prix ne fait pas exception. Une telle situation est semence d’une révolte qui parfois, déjà, gronde.

Trois orientations devraient me semble-t-il être examinées en urgence :

• modifier, pour son 10e anniversaire (13 décembre 2000), la Loi Solidarité et Renouvellement Urbains (S.R.U). Il convient de saluer son auteur Louis Besson pour être un grand maitre d’oeuvre de la mixité sociale. Cette loi a porté des fruits ; l’heure vient où elle doit être applicable à toutes les communes sans dérogation.

• Intensifier la ville. Les plans locaux d’Urbanisme (P.L.U.) dans le continuum des dispositions de Christine Boutin et Jean Louis Borloo devraient augmenter de 25% à 30% les droits à construire en les affectant d’une charge foncière strictement éligible aux financements très sociaux.,

• maintenir les aides fiscales pour le seul logement abordable aux personnes fragilisées, (familles monoparentales, jeunes et personnes âgées en vue d’un habitat adapté facilitant leur maintien à domicile). L’avantage fiscal doit impérativement avoir une contrepartie sociale.

De telles perspectives n’offriraient elles pas que les chances des cimes l’emportent sur les risques de l’abîme qu’entraîne inexorablement ce sommet des prix.

La ville interdite

La Capitale met en lumière les ombres de politiques permissives qui, depuis trop longtemps, ne permettent pas de maîtriser un marché immobilier devenu fou, pour le moins aberrant. La une du Monde en date du 28 septembre titrait : « Pourquoi les classes moyennes sont chassées de Paris ? »

Le prix moyen du m² présente une rupture abyssale avec la rémunération du travail. Cette explosion, que la crise économique et sociale paradoxalement amplifie, n’est-elle pas un déni et une moquerie de l’intérêt général.
Il appartient au politique de réguler les charges foncières, observant que les partis de gouvernement sont peu enclins à mettre en oeuvre les réformes qui s’imposent.

Benoist Apparu, Secrétaire d’Etat au Logement, a certes « sifflé la fin de partie » d’une politique systémique du logement social pour lui substituer non sans pertinence le concept de la territorialisation déjà commencé avec Christine Boutin qui ne voulut retenir les aides fiscales que là où l’accès au logement est le plus tendu, observant que la crise n’est pas immobilière mais plus précisément celle de l’accessibilité au logement.

Si une telle approche recueille l’opposition d’élus ou de groupes de pression pour défendre « leurs
territoires », elle doit être saluée comme relevant du courage politique ; encore convient-il de
l’accompagner de mesures susceptibles de faire bouger une situation injuste et désormais dangereuse
pour la cohésion sociale. Une ville interdite aux plus fragilisés n’est elle pas une ville qui fait rupture
avec la paix sociale.

Trois propositions déjà esquissées doivent être mises en oeuvre :

  • modifier, pour son 10e anniversaire (13 décembre 2000), la Loi Solidarité et Renouvellement Urbains (S.R.U) ; les communes riches ne sauraient s’affranchir de la création de logements à destination des personnes fragilisées. La République est une et indivisible
  • réviser les plans locaux d’Urbanisme (P.L.U.) dans les grandes agglomérations pour augmenter les droits à construire de 25% à 30% avec une affectation pour ceux-ci d’une charge foncière éligible aux financements sociaux et à l’accessibilité aux primo-accédants.
  • développer la propriété solidaire avec l’usufruit désormais éligible aux financements très sociaux (PLAI et PLUS). Cette perspective visée dans la loi « Mobilisation pour le Logement et la Lutte contre l’Exclusion » précise celle de « l’Engagement National pour le Logement », préconisant la mise à disposition de tènements appartenant à l’Etat en vue de faciliter une politique sociale de l’habitat.

L’opération du « Grand Paris » donnera-t-elle enfin une chance à un urbanisme humanisé pour être solidaire ? La réponse éminemment politique dira où nous en sommes de notre démocratie qui appelle non seulement la « vertu » suivant le mot de Montesquieu, mais aussi le courage de changer et de faire changer.

Les échéances électorales sont des rendez-vous essentiels pour la vie de la Cité sous condition de regarder les faits tels qu’ils sont, quand bien même ils donneraient à voir la blessure infligée au bien commun. Une brèche alors s’ouvre : elle est à la fois éveil des consciences et réveil des talents.

Quand comprendrons-nous la nécessité de faire tomber les écailles de nos yeux pour saisir que ce drame du mal logement – dont plus d’1 million d’enfants sont des victimes en France, 15 millions en Europe – appelle une volonté politique mais peut-elle naître dans cette schizophrénie entretenue entre nos comportements privés et leurs conséquences publiques. A refuser de les corréler, nous allons dans le mur.