Valorisation patrimoniale mais aussi sociale, un atout pour réduire la crise du logement

Une nouvelle fois je reviens sur l’iniquité que représente la vacance de trop de logements, plus de 300 000 dans les métropoles. Pardonnez mon insistance qui, je l’espère sera comprise comme de la persévérance à changer ce qui peut l’être.

Les difficultés de se loger pour les plus fragiles sont si criantes que l’indifférence est un mépris à leur égard.

Comment rester sourds et aveugles à ces appels ou SMS quotidiens témoignant d’une détresse traversée par le souffle d’un ultime espoir. Ne pas entendre ou se mettre à distance, c’est participer au moins passivement à une violence à laquelle notre société s’est tristement habituée.

L’absence d’un toit est la résultante d’un faisceau d’incompréhensions, d’échecs. La personne, submergée, souvent dans une extrême solitude, se voit assignée à la rue. Tout alors bascule. Un effondrement !

Comment rebondir dans ces moments s’il n’y a pas un toit, un espace d’intimité alors qu’autour de soi, il n’y a plus de repères.

La vacance des logements est un serpent de mer, dit-on depuis des dizaines d’années. Certes, mais est-ce une raison pour ne rien faire ou se servir de cet horrible constat pour se dédouaner de ses engagements.

Quand la société ferme les yeux sur la vulnérabilité de ses concitoyens, elle se perd jusqu’à engloutir les valeurs qui la portent.

Rien ne se résout par un coup de baguette magique ; il ne suffit pas de parler, d’écrire, laissant place à l’indignation toujours facile, mais peu fertile. L’heure est d’agir en essayant de voir ce qu’il est possible de faire ensemble.

Ensemble est le maître-mot.

La rue est à la pauvreté ce que la crevasse est à la montagne, un lieu mortifère. Cette symbolique de la recherche des sommets, si nous l’acceptons, ne pourrait-elle pas être une invitation à mettre en œuvre les convergences nécessaires pour tirer vers le haut ceux qui sombrent.

Une cordée s’impose ; elle serait constituée

  • des propriétaires de logements vacants, décidés à redonner à leur bien une efficience sociale accompagnée d’une valorisation patrimoniale. Les cyniques riront, se moqueront, mais il n’y a pas que des cyniques. Il y a aussi ces propriétaires parfois âgés, mais pas seulement, qui devant la complexité des dossiers, se sentent dépassés. Comment intervenir se demandent-ils.

Il est impensable que nous n’en trouvions pas 20% qui se mobilisent, ce qui conduirait à créer une offre nouvelle d’environ 60 000 logements au sein des agglomérations les plus tendues.

  • d’acteurs du logement social, notamment associatifs, accompagnant les futurs bailleurs  dans leur recherche de financements, voire en en faisant l’avance dans le cadre de baux à réhabilitation.
  • de futurs occupants, susceptibles de s’investir pour effectuer des travaux de réhabilitation sur les parties privatives.

L’esprit de la cordée, retenu à dessein n’appelle-t-il pas l’effort de tous.

Le diagnostic posé et le traitement proposé n’ont rien d’utopique. Oui, une ouverture est possible pour réduire le mal-logement. Ne la rejetons pas.

Bernard Devert

Mars 2023

La réforme des retraites, une clé pour ouvrir de nouveaux possibles

Le projet de loi sur la réforme des retraites a fait l’objet, au sein de l’Assemblée Nationale, de débats, assombris par de dommageables combats, d’où une confusion avec deux conséquences, une agitation ou pour le moins des hésitations.

La Haute Assemblée, appelée à se prononcer, devrait examiner le texte avec sérénité.

L’enjeu est d’importance. Il est regrettable que cette réforme n’ait pas été éclairée par une réflexion sur le sens du travail.

La crise était patente, la Covid l’a rendue plus aigüe.

L’opinion laisse planer le fait que nos concitoyens veulent moins travailler. Est-ce si sûr ? Non, ce qui est patent c’est le désir d’un travail qui participe à la qualité de la vie, d’où une recherche encore confuse sur de nouvelles conditions d’exercer son activité professionnelle.

Il y a lieu de se réjouir d’une telle orientation qui vise à mieux faire valoir ses potentialités.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’en 2022, plus d’un million d’entreprises ont été créées. L’esprit entrepreneurial est davantage prégnant qu’on ne le pense.

La crise sanitaire a suscité de nouvelles façons de travailler, le ‘chez soi’ se substituant partiellement au bureau. Le télétravail a pu apparaître dans un premier temps comme un handicap pour la productivité ; il n’en est rien.

La cohésion sociale est fracturée ; personne ne le conteste. Comment la réparer, par une attention au travail, notamment à celui en fin de carrière. L’expérience acquise mériterait d’être transmise. Il se créerait alors une solidarité entre ceux qui s’approchent de la retraite et ceux qui entrent dans la vie professionnelle. L’apprentissage trouverait également un nouveau et judicieux développement.

La transmission est un temps de reconnaissance. Or, une des crises de notre société est liée au fait que d’aucuns pensent qu’ils comptent peu. Pour enrayer amertume et lassitude qui concourent à un défaitisme sociétal, la réforme des retraites peut se révéler un vecteur pour bâtir des ponts, des passerelles, plutôt que de creuser davantage d’abîmes.

Quitter son emploi en ayant la joie d’avoir aidé les plus jeunes à mettre le pied à l’étrier confèrerait au temps de retraite qui se profile le ressenti juste d’une reconnaissance sociale. Il s’agirait d’un véritable soin pour la société.

Nombre des jeunes qui bénéficieraient de ce savoir-faire ont une connaissance quasi innée de l’informatique, de sorte que se ferait jour dans un certain nombre de situations un échange réduisant la fracture numérique.

Au cours des débats chahutés à l’Assemblée, le monde associatif a été oublié. Le climat social, tendu, serait très largement amélioré et même pacifié si se créaient entre les entreprises, le monde associatif et les acteurs de l’économie sociale, de nouveaux soutiens sous la forme du mécénat.

Un grand nombre de grandes entreprises françaises offrent des résultats très satisfaisants. Ils sont insupportés par une grande partie de l’opinion en raison des écarts entre ceux qui possèdent et ceux qui se sentent possédés, d’où un ressenti d’iniquité, accompagné de cette interrogation : pourquoi suis-je éloigné des fruits de mon travail.

L’heure n’est pas de pleurer sur la réussite entrepreneuriale, mais de diminuer les écarts abyssaux entre les rémunérations. Quand l’équité est présente, les relations sont transformées.

Redistribuer les rémunérations, distribuer les savoirs et les savoir-faire, un chemin qui, suivant le mot de Saint Exupéry, permettrait de marcher vers une fontaine. Reconnaissons que, de cette fraîcheur, nous avons besoin.

Ainsi tomberaient bien des colères et cette incompréhension disqualifiante de se savoir ou se sentir si peu reconnus. Une ouverture ! Ne pourrait-elle pas faire naître de nouveaux possibles.

Bernard Devert

Février 2023

Le carême, un temps pour faire face à ce qui détruit l’espérance. L’heure n’est pas vraiment celle des « faces de carême ».

Entrons joyeusement dans ce temps du Carême. L’expression peut apparaître étonnante, même déplacée, mais ce moment n’est-il pas celui de vivre une transformation intérieure pour non seulement lire les signes de résurrection, mais les vivre.

Les ‘faces de carême’ ne témoignent pas de la foi. L’acte de croire nous met face à nos obligations d’hommes et de femmes pour faire face à ce qui, en nous et autour de nous, déshumanise. L’espérance procède toujours d’une parole qui donne chair à un ‘autrement’.

C’est la vie qui importe pour Dieu. Elle est inscrite dès les premières pages de la Bible : « Qu’as tu fait de ton frère« . Cet appel est la clé d’un discernement, permettant, sans évasion ni illusion, de nous poser une autre question de la même veine : qu’as-tu fait de ton Père ?

Le plus humain rejoint le plus divin.

Le carême est un sentier. Il conduit à habiter, pour le moins s’approcher de la promesse ; la mort n’est pas supprimée, elle est traversée. Nous voici invités à un chemin de traverse au cours duquel nous nous éloignerons des inessentiels et des illusions, d’où l’appel au jeûne, non pour lui-même mais pour une plus vive attention au sens de la vie.

L’aumône n’est pas une fin en soi mais bien ce mouvement d’intériorité permettant d’habiter la Parole de Jésus : là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. Comment ne pas donner, se donner en partageant du temps, de ses relations, de son épargne pour que celui qui n’a pas de place la trouve enfin.

Il ne s’agit pas seulement d’être solidaires mais d’être fraternels

La cordée est signe d’une solidarité : accepter de marcher sans abandonner le plus fragile. La fraternité va plus loin encore ; elle conduit à partir avec celui qui n’imaginait même pas pouvoir être invité. N’est-ce pas cela précisément le sens de l’aumône, ne point se détrourner de celui qui n’a rien ou si peu. Ton Père voit ce que tu fais dans le secret et te le revaudra.

Le réalisme spirituel du Christ ne nous autorise pas à nous évader des situations concrètes, de celles parfois si ‘moches’ que nous saisissons l’urgence de les changer, comprenant alors qu’il nous faut, pour ce faire, changer.

Aime et tu comprendras, dit Saint Augustin.

Pour comprendre, il faut entendre. N’est-ce pas ce temps de la prière, autre traversée à partir de laquelle le Seigneur nous appelle à prier avec Lui, comme il le demanda à ses disciples. La prière est souffle d’une libération. Alors vient le temps d’une disponibilité pour desceller nos barreaux invisibles, ces avoirs qui nous enferment dans une certaine quiétude et les savoirs nous donnant l’illusion d’un certain pouvoir.

Sur ce chemin de carême, nous irons avec le Christ au désert. Là, il entendit le ‘diabolos’ lui demander d’être davantage Dieu qu’homme. Jésus fait un choix, celui d’être avec nous, parmi nous.

Au diable, les fossoyeurs de l’incarnation ! Et nous, pendant ces quarante jours, qu’enverrons-nous au diable ?

Cette interrogation ne révélerait-elle pas ce qui se joue en ce temps de carême. Quelle magnifique aventure d’humanité ! Oui, vraiment la tristesse n’a pas sa place.

Bernard Devert

22 février 2023

Une belle histoire entre la Communauté bénédictine de Belloc et Habitat et Humanisme.

Tout a commencé il y a 4 années avec un temps de partage sur la spiritualité zundélienne, un des frères de cette Communauté s’étant beaucoup investi sur l’engagement de Maurice Zundel théologien que Paul VI présentait comme un poète et un mystique.

Au terme de cette rencontre, les moines ont demandé au fondateur d’Habitat et Humanisme s’il était prêt à poursuivre une réflexion. L’interrogation s’est très vite révélée comme un appel.

Qu’est-ce qui pouvait bien rapprocher les moines bénédictins d’Habitat et Humanisme, l’histoire de cette Communauté, profondément marquée par l’esprit de résistance qui fait que l’abbaye est reconnue par les croyants ou non, comme un haut-lieu spirituel.

Comment oublier que des moines de cette abbaye, arrêtés par les Nazis furent jetés dans un camp de concentration pour avoir eu l’audace et le courage de s’opposer à une idéologie meurtrière de l’humain.

Difficile aussi de passer sous silence le fait que Belloc a été un ‘refuge’ pour ceux qui ont défendu l’indépendance, pour le moins l’autonomie du Pays Basque, Nord et Sud. Le Père Abbé s’est trouvé à plusieurs reprises confronté à des moments de garde à vue !

L’association Habitat et Humanisme est habitée l’esprit de résistance. Il n’est pas neutre de rappeler qu’elle a trouvé son Siège à Caluire où Jean Moulin fut arrêté ; son secrétaire, Jean Cordier, alias Caracalla, bordelais, prit le bateau à Jean de Luz pour rejoindre Londres.

Cette culture de la résistance partagée avec les moines l’est aussi avec les moniales qui ont largement contribué à la venue d’H&H accueillant, mais pas seulement, leurs frères au sein de leur monastère.

La sobriété, si chère à l’Evangile, a été concrètement vécue pour faire place à des inattendus qui, portés par la prière, sont fruit des inespérés. N’est-ce pas aussi ce qui nourrit toute action de résistance, un appel à se déplacer, à se risquer.

Résister contre une économie marchande qui condamne les plus fragiles à être rejetés dans un ailleurs que les urbanistes et sociologues nomment la banlieue, littéralement le lieu du ban.

Résister contre ces idées de puissance qui sont considérées justes parce qu’elles sont fortes. Blaise Pascal soulignait que, seul, ce qui est juste est fort.

Résister pour que le fragile ne soit pas vilipendé, mais reconnu comme un vecteur d’humanité.

Résister contre les obscurantismes instrumentalisés par leurs thuriféraires pour au mieux accabler et mettre à distance les espaces de clarté où, là seulement, l’homme intérieur trouve les conditions de son épanouissement.  

Ce rapprochement, riche de sens, doit nous inviter à trouver l’énergie pour être des combattants de l’espoir. Comment rester étrangers à ceux qui désespèrent de ne pouvoir trouver un toit, ce minimum pour le respect de la dignité, tragiquement refusé aux plus pauvres.

Dans un moment où la civilisation occidentale prend de la distance avec la chrétienté, n’appartient-il pas aux baptisés de retrouver pleinement le sens de la résurrection ; elle n’est pas un projet pour demain, mais l’aujourd’hui de notre vie, un appel pressant à se mettre debout, lutter, résister contre l’indifférence qui tue physiquement et moralement.

Marie-Madeleine et les femmes présentes sur le tombeau vide s’entendront dire par le Ressuscité : « Ne craignez pas ; allez dire à mes frères de se rendre en Galilée, c’est là qu’ils me verront » (Mt 28-10). Il est urgent de retrouver dans nos vies ces ‘Galilée’.

Il est des lieux, Belloc en est un, qui témoignent de l’attention à une vie nouvelle, là où les finitudes loin d’être occultées, sont prises en compte, sans endeuiller l’avenir pour être visitées par la Pâque du Seigneur qui ne nie pas la mort, mais la traverse.

Tel sera le thème de la préparation pascale que je me propose de tenir à l’Abbaye de Belloc (à proximité de Bayonne) les mercredi, jeudi, vendredi Saints en participant aux offices prévus par les moines et moniales.

Bernard Devert

PS : pour tout renseignement, n’hésitez pas à me joindre sur ma messagerie b.devert@habitat-humanisme.org ou téléphone 06 73 68 28 58

J’exige, donc j’existe

L’immédiateté est devenue une forme de dictature silencieuse qui envahit notre Société pour se présenter comme un élément constitutif de liberté.

Le « moi, je » efface ou pour le moins atténue la responsabilité que nous avons à l’égard des autres. Qui n’a pas entendu : « ce n’est pas mon problème » et c’est précisément tout le problème auquel nous sommes confrontés.

« Avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore », telle est pour Ernest Renan la définition de la Nation.

Il s’agit d’une reconnaissance, un héritage suscitant une identité et une filiation créatrices d’un appel à donner naissance, à faire naître non sans fierté des projets conférant à la Nation une cohésion sans laquelle elle se délite.

Or, la cohésion sociale est largement fracturée pour avoir perdu le sens de l’unité qui, loin d’être une uniformité, se révèle le surgissement d’une mosaïque des engagements de tous.

Nous avons besoin de l’autre, des autres, d’où la nécessité de bâtir une relation pour construire une communauté qui, pour dessiner une fraternité, traduit alors l’attention à ceux qui la constituent. La première exigence est celle de l’équité.

Le « chacun pour soi » est un fléau social.

L’image de la balance à fléau, allégorie de la justice, ne l’est vraiment que si l’on met davantage dans le plateau de celui qui n’a rien ou peu, pour être juste.

Une des crises de la Société et, plus grave encore, de la Nation, est ce manque d’équité, d’où la nécessité d’une meilleure redistribution des richesses. Souvenons-nous, il y eut une tentative de la part d’une élite qui, possédant beaucoup, a appelé à plus de justice sociale, bien décidée à y contribuer.

Quelle justice pour évoquer l’habitat quand 85 744 ménages reconnus prioritaires au titre du DALO n’ont pu accéder à un logement.

Quelle équité quand l’égalité des chances est en situation d’échec avec des territoires qui culturellement, socialement, se révèlent une garantie de sécurité pour l’avenir de ceux qui y résident alors que les plus fragiles sont confrontés à la pauvreté, quand ce n’est pas la misère.

Faute d’une juste redistribution pour parvenir à plus d’égalité, les liens se perdent dans une dommageable aventure « du chacun pour soi », quand bien même le tissu associatif tente de les maintenir.

Au sein même de l’économie solidaire, il nous faut veiller à ce risque que peut causer l’investissement à impact social. La perspective n’est pas sans pertinence, réserve faite qu’il n’y ait pas de course à la réussite laissant dans l’oubli les personnes en grandes difficultés pour se présenter comme des champions de l’insertion.

L’attention à l’autre, aux autres, appelle la recherche d’un équilibre, traversé par la générosité et la capacité à donner et à se donner pour une cause, ô combien noble, s’agissant de faire reculer les chocs qu’entraînent la brutalité de ces ruptures créant des situations claniques, non sans danger pour l’avenir

Comme il serait nécessaire que se lève le rideau sur les obscurantismes aux fins de pouvoir présenter un projet de Société qui, libéré des intérêts particuliers, concourrait à la création de cette Maison Commune, malheureusement une forme de chimère, au sens très précis de ce mot, l’absence d’unité.

L’unité commence là où je décide d’exister, pas seulement pour moi, mais pour l’autre, les autres, en acceptant de prendre du recul quant à l’immédiateté du tout, tout de suite, si destructrice du corps social.

Bernard Devert

Février 2023

Les ehpad

De nouveau, ce détestable acronyme, qui devrait plutôt être remplacé par ‘la Maison de nos aînés’, a fait l’objet du focus des médias suite à l’intervention de Claire Hédon, en sa qualité de Défenseure des Droits.

Claire Hédon observe des initiatives méritant d’être saluées au sein des ehpad. Toutefois, elle rappelle non sans pertinence 5 actions capitales qui restent à mener : l’urgence d’un ratio minimal d’encadrement pour assurer un meilleur accompagnement des résidents, offrir plus de liberté aux familles et aux soignés, renforcer l’identification et l’analyse des situations de maltraitance, clarifier et renforcer la politique nationale des contrôles et restaurer la confiance des résidents et de leurs familles.

Toutes ces mesures sont bonnes et nécessaires ; il en est une autre qui relève de l’ouverture du cœur. A ce titre, elle ne peut pas faire l’objet d’une prescription pour être cet enthousiasme d’aller vers l’autre.

Un de nos directeurs écrit fort justement que cette dimension est la manifestation de la vie qui habite tous les êtres humains. Parfois, elle est enfouie par la lassitude morale ou physique, mais elle existe, dit-il, je l’ai vue. Il ajoute : quand l’humain est en activité, c’est sa périphérie qui est active pour être sollicitée par l’extérieur.

Avec l’âge, le grand âge, le temps de l’action se met en retrait mais il fait place à une conscience plus aigüe d’être là, le plaisir d’être là.

Nous entendons souvent chez les résidents l’interrogation : « pourquoi suis-je encore là », en d’autres termes, quel sens a encore ma vie, à quoi je sers. La question renvoie à l’utilité, mais exister, ce n’est pas simplement faire, c’est aussi faire surgir cette conscience que la vie a du sens ; il n’y a pas d’âge pour en être des acteurs et des témoins.

Dans le tourbillon des existences où personne n’a le temps, ou plus exactement ne le prend, la reconnaissance d’être un vivant se joue sur le fait de pouvoir agir, s’agiter, brasser, si bien que ceux qui sont en retrait de ce « bouillonnement » sont finalement condamnés à une certaine régression.

Ils ne comptent pas ou si peu.

Est-ce juste ? Non, le temps du grand âge est malheureusement compris comme une fin venant trop souvent éteindre les désirs. La conscience d’exister ne fait-elle pas jaillir ce « pourquoi suis-je là » ; cet appel à vivre doit trouver une réponse : « parce que vous êtes de ceux qui nous ont permis d’être mis au monde, d’être des héritiers de ce qui s’est construit, recherché sur un plan humain et spirituel.

Alors s’ensuit une juste reconnaissance de nos aînés.

La négligence de notre Société à leur égard ne traduit-elle pas cette culture de la finitude pour ne pas parvenir à voir dans chaque être l’infini qui l’habite.

Je pense à cette personne très âgée qui ne parlait plus, ou si peu ; sortie de sa chambre, elle s’était placée dans le couloir, toute courbée, assise sur une chaise. Lui caressant la main et le bras un peu longuement, il me fut donné la joie de la voir se relever et de bénéficier de son sourire ; il traduisait la vie qui était en elle, chassant le fini qui l’accablait ; se réveillait alors l’infini dont la tendresse est le secret.

La Maison de nos aînés, quelles que soient les règlementations, ô combien nécessaires et sur lesquelles nous nous investissons, doit se révéler des lieux de vie habités par une intériorité revisitée par cette reconnaissance due à ceux qui nous ont mis au monde.

L’infini de la vie se révèle et se comprend souvent au cœur du fragile.

Bernard Devert

Janvier 2023