Entrons joyeusement dans ce temps du Carême. L’expression peut apparaître étonnante, même déplacée, mais ce moment n’est-il pas celui de vivre une transformation intérieure pour non seulement lire les signes de résurrection, mais les vivre.
Les ‘faces de carême’ ne témoignent pas de la foi. L’acte de croire nous met face à nos obligations d’hommes et de femmes pour faire face à ce qui, en nous et autour de nous, déshumanise. L’espérance procède toujours d’une parole qui donne chair à un ‘autrement’.
C’est la vie qui importe pour Dieu. Elle est inscrite dès les premières pages de la Bible : « Qu’as tu fait de ton frère« . Cet appel est la clé d’un discernement, permettant, sans évasion ni illusion, de nous poser une autre question de la même veine : qu’as-tu fait de ton Père ?
Le plus humain rejoint le plus divin.
Le carême est un sentier. Il conduit à habiter, pour le moins s’approcher de la promesse ; la mort n’est pas supprimée, elle est traversée. Nous voici invités à un chemin de traverse au cours duquel nous nous éloignerons des inessentiels et des illusions, d’où l’appel au jeûne, non pour lui-même mais pour une plus vive attention au sens de la vie.
L’aumône n’est pas une fin en soi mais bien ce mouvement d’intériorité permettant d’habiter la Parole de Jésus : là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. Comment ne pas donner, se donner en partageant du temps, de ses relations, de son épargne pour que celui qui n’a pas de place la trouve enfin.
Il ne s’agit pas seulement d’être solidaires mais d’être fraternels
La cordée est signe d’une solidarité : accepter de marcher sans abandonner le plus fragile. La fraternité va plus loin encore ; elle conduit à partir avec celui qui n’imaginait même pas pouvoir être invité. N’est-ce pas cela précisément le sens de l’aumône, ne point se détrourner de celui qui n’a rien ou si peu. Ton Père voit ce que tu fais dans le secret et te le revaudra.
Le réalisme spirituel du Christ ne nous autorise pas à nous évader des situations concrètes, de celles parfois si ‘moches’ que nous saisissons l’urgence de les changer, comprenant alors qu’il nous faut, pour ce faire, changer.
Aime et tu comprendras, dit Saint Augustin.
Pour comprendre, il faut entendre. N’est-ce pas ce temps de la prière, autre traversée à partir de laquelle le Seigneur nous appelle à prier avec Lui, comme il le demanda à ses disciples. La prière est souffle d’une libération. Alors vient le temps d’une disponibilité pour desceller nos barreaux invisibles, ces avoirs qui nous enferment dans une certaine quiétude et les savoirs nous donnant l’illusion d’un certain pouvoir.
Sur ce chemin de carême, nous irons avec le Christ au désert. Là, il entendit le ‘diabolos’ lui demander d’être davantage Dieu qu’homme. Jésus fait un choix, celui d’être avec nous, parmi nous.
Au diable, les fossoyeurs de l’incarnation ! Et nous, pendant ces quarante jours, qu’enverrons-nous au diable ?
Cette interrogation ne révélerait-elle pas ce qui se joue en ce temps de carême. Quelle magnifique aventure d’humanité ! Oui, vraiment la tristesse n’a pas sa place.
Bernard Devert
22 février 2023