Il y a cinq mois décédait brutalement François de Witt ancien dirigeant de Finansol ; journaliste, il a bénéficié d’une belle audience avec l’émission : mieux vivre votre argent. Lors de l’AG qui a eu lieu ce vendredi 21 avril, Bernard Devert, ami de François a formulé l’hommage en des termes ci-joints :
« Nous devons aller vers la lumière, m’écrivait François de Witt le 21 décembre 2014, alors qu’il préparait son ouvrage au titre évocateur de ses engagements « La preuve par l’âme ».
Homme de parole et de la parole, il veillait à mettre en cohérence les mots et les actes. Sa formation à Polytechnique l’a préparé à résoudre bien des inconnues et à s’aventurer dans cette recherche de nouveaux possibles.
Les mathématiques paradoxalement l’ont plutôt rapproché de la mystique et c’est à l’épreuve de raisonnements déductifs que se dévoila son esprit intuitif révélé pleinement par une rencontre qui lui fit reconnaître la richesse de sa personnalité.
Toute reconnaissance est naissance.
Il avait le sens du réel. Il ne l’entendait pas comme un verrou mais comme un appel à faire surgir des « passages » libérateurs des finitudes pour aller vers des idéaux, traces de la lumière constamment recherchée.
De l’Ecole Polytechnique à sa profession de journaliste, quel rapport ? Une rigueur, ou plus exactement une vigueur de la pensée, dont jamais il ne se départit par respect de ses auditeurs et de ses lecteurs.
A la réflexion, fut-il seulement un journaliste ? Oui, au sens où il choisit cette profession alors qu’à la sortie de l’« X » bien des voies lui étaient proposées. Le projet qui lui tenait à coeur était de s’investir sur une mission d’information mais aussi de formation pour faire comprendre l’enjeu des questions économiques et financières.
La démocratie lui apparaissait en danger par la méconnaissance de l’économie.
Soutenu par un sens pédagogique hors du commun, il sut sans jamais moraliser privilégier la dimension éthique invitant son public à s’interroger sur la question du sens, de l’argent, de l’économie, de l’existence.
Je l’entends fustiger avec des mots sévères l’arrogance d’un certain capitalisme. Il avait la conviction qu’il exploserait, la financiarisation de l’économie étant alimentée par une soif mortifère de l’avoir et de la puissance.
Ce constat lui était insupportable, si contraire à la lumière. D’expérience, il savait qu’elle ne se trouve que là où les relations sont constitutives de liens, de réciprocités, d’échanges et de partages.
Avec un sourire témoignant de sa bienveillance et de son humour, il n’était pas fâché de relever, ici et là, des failles annonciatrices des fins d’un modèle économique barbare.
Épris de liberté François, espérant cette fin du capitalisme sauvage, se présentait comme le défenseur de l’économie de marché, trace d’une ouverture dès lors qu’elle est libérée de l’étau de la financiarisation.
Il se souvenait du mot de ce grand juriste Georges Ripert : « le monde est peuplé d’êtres nouveaux qui ne sont pas comptés dans le démembrement de la population mais qui sont aussi vivants que des êtres physiques ».
Vivants, mais ces êtres nouveaux sont animés par des ambitions meurtrières de l’humain.
Aussi inquiet du chaos que le capitalisme outrancier pouvait faire surgir pour concentrer trop de pouvoirs sans grandes oppositions, il fut l’une des grandes voix de la finance solidaire et de la philanthropie.
Présidant Finansol, il impulsa l’entrepreneuriat social sans le limiter aux seules entités associatives dont le rôle majeur est d’être un laboratoire pour faire naître une économie humanisante au sein des entreprises, de toutes les entreprises.
Nous devons aller à la lumière, conscients qu’elle ne se trouve pas seulement dans le monde que nous appréhendons mais dans l’univers dont chaque être est une partie, portant ainsi en lui-même une trace de l’Infini, ou encore de l’Eternel.
Lui citant Paul Eluard : « il est un autre monde mais il est dans celui-ci », François me reprit, soulignant que cet autre monde est partie prenante de ce monde, mais il est bien plus que ce monde.
L’homme était pour lui plus grand qu’il ne le croit ou qu’il ne le pense.
Aller à la lumière n’était pas seulement pour François une grande idée – fût-elle très belle – mais la clef pour comprendre le sens de l’être, de la vie ; il nous la laisse dans son ouvrage « La preuve par l’âme ».
L’âme, c’est le coeur. Le croyant qu’il fut, envisageait le Royaume des cieux comme le royaume du coeur ou pour reprendre l’expression de ce grand mystique et poète du XXème siècle Maurice Zundel : « Dieu, c’est quand on s’émerveille ».
Pétri du Livre de l’Humanité, il faisait sienne la prière de Salomon à l’Eternel : « donne-moi un coeur intelligent ».
Cette intelligence, non seulement il nous l’a partagée, pour saisir que l’indicible jamais ne se trouve mais toujours s’éprouve. Il en parle en termes de frémissement. Ne serait-ce pas celui du déjà-là de la résurrection.
François est de ceux dont on dit : « ils ont une belle âme », une âme qui, plus encore que l’esprit, s’élève pour relever ceux-là mêmes qu’ils rencontrent.
Cet hommage à François voudrait exprimer une gratitude partagée pour ce qu’il est, pour ce qu’il nous a permis d’être.
Il avait des maîtres, François Cheng était l’un d’eux.
Souhaitant à François sa fête, il me précisa que les réformés ne fêtent pas les saints. Mais St François ajouta-t-il – dont Cheng parle si bien – me protège. Aussi, me dit-il, soyons oecuméniques !
Encore et toujours cette ouverture sans laquelle il n’y a pas de lumière.
François de Witt a peut-être eu le temps de lire le livre de François Cheng « De l’âme ». Dans la cinquième lettre de l’ouvrage, l’auteur écrit : « les chercheurs du vrai et du beau savent que sur la Voie, la souffrance est un passage obligé par lequel on peut atteindre la lumière. Dans le gouffre tragique d’un monde enténébré, au plus noir de la nuit, la moindre lueur est signe de vie, une luciole qui passe, une étoile qui file, un feu qui prend… »
François était cette étoile, ce feu.
Bernard Devert
Avril 2017