Que de personnes confrontées au grand âge sont en deuil au regard du vivre-ensemble, considérant qu’elles sont inutiles, jusqu’à se penser comme une charge.
J’aimerais leur dire qu’elles sont une chance nous appelant à mieux nous investir sur les 3 valeurs de la République, socle de notre démocratie :
• Liberté pour imaginer des espaces qui protègent mais restent ouverts,
• Égalité : le prendre soin conduit à atténuer les inégalités physiques, psychiques, sociales. Les postures de surplomb sont insupportables pour comprendre que vous nous offrez la possibilité de dépasser nos propres enfermements,
• Fraternité : s’agissant d’entrer dans une relation où le mystère de l’être est éveil à l’Infini.
Qui n’éprouve pas la joie de dire à nos aînés qu’ils sont une chance.
• Chance, pour nous aider à sortir de l’idée mortifère de la puissance conduisant à évaluer la personne à l’aune de son utilité, de sa capacité à produire.
Faut-il attendre les drames pour s’apercevoir qu’ils sont, pour partie, liés au refus d’accueillir la vulnérabilité.
• Chance, pour reconnaître qu’à l’école de l’humanité, nos aînés sont des maîtres. Ils n’ont nul besoin de ces ouvrages qui encombrent et permettent de se cacher derrière un savoir académique. Leur parole est libérée et épurée de par les épreuves qu’ils ont su surmonter pour offrir à la vie l’intelligence du courage et de la bienveillance.
• Chance, d’être les héritiers d’une histoire, jamais indifférente à l’avenir de ceux qui la reçoivent.
• Chance, de les rencontrer. Leurs rides ne sont-elles pas trace des aridités traversées. Leurs visages livrent avec pudeur les combats dont ils sont sortis vainqueurs dans ce passage de la possession à la libération, si bien exprimé par cet explorateur de l’esprit qu’est René Daumal, dans le Mont Analogue :
« Je suis mort parce que je n’ai pas de désir ; je n’ai pas de désir, car je crois posséder. Je crois posséder parce que je n’essaie pas de donner. Essayant de donner, on voit qu’on n’a rien. Voyant qu’on n’a rien, on essaie de se donner. Essayant de se donner, on voit qu’on n’est rien. Voyant qu’on n’est rien, on désire devenir.
Désirant devenir, on vit ».
Ce trésor de vie naît de l’accumulation de la perte des idées toutes faites laissant jaillir des cœurs – non point lézardés mais creusés – une espérance que le temps patine.
A la prétention des savoirs, vous offrez, chers aînés, une richesse inattendue : le temps n’est pas l’ennemi, il est le dévoilement de ce qui, enfoui, s’avère l’essentiel, déjà l’éternel que seule, la fragilité révèle.
Bernard Devert
Mai 2017
Magnifiuqe texte
Merci, mon Père, pour cette très belle méditation, dont de nombreux points rencontrent de façon troublante l’état actuel de ma réflexion, particulièrement depuis l’expulsion d’un jeune Afghan, le weekend dernier, depuis Lyon. Le soutien militant de nombreuses personnes âgées en sa faveur mais en vain m’a renforcé dans l’idée qu’il y a quelque chose de très nouveau à faire en faveur des réfugiés. Je pensais que vous étiez la personne idoine pour cela, et cet article le confirme. Bravo pour ce que vous faites !
Lyonnais comme vous, j’aimerais beaucoup vous rencontrer pour en parler.