La misère n’est pas une fatalité ; elle se propage, faute d’être prise en compte pour ce qu’elle est, un mal endémique. De quels soins dispose le corps social pour ne pas abandonner ses membres qui sont en souffrance pour n’avoir point de toit.
Les soignants savent qu’il leur faut aller vite pour endiguer le cancer, mesurant combien le temps est l’ennemi. Lorsqu’il s’agit de la pauvreté, le facteur-temps perd toute son acuité alors que le tissu social se délite.
L’homme pauvre, déjà privé de bien des libertés, à défaut de se voir attribuer un espace de vie décent, est assigné à la patience.
Si les soignants ne manquent pas, ils ne disposent pas des traitements nécessaires pour faire tomber la gravité du mal. « L’oncologie sociale » n’a pas de service d’urgence, les victimes doivent attendre. Or, l’attente, est longue, 6 ans à Paris pour un T4, 3 ans pour un T1. Dans les grandes métropoles les délais s’allongent, plus de 3 ans à Montpellier, parfois jusqu’à 10 ans pour Nice.
Que de morts sociales s’ensuivent. Que de fois, quand ce logement improbable est enfin proposé, le mal a fait son œuvre, dévastant les liens familiaux.
Cet impensable logement pour des centaines de milliers de nos concitoyens traduit les signes cliniques d’une Société qui n’a pas pris la mesure de la gravité du malheur, sauf quelques semaines par an lors de la chute brutale des températures.
La traversée de la crise sanitaire fit place à une inquiétude ‑ restera-t-elle celle d’un moment – à l’égard des plus vulnérables ; il est apparu clairement que les machines à entasser ne sauraient être un habitat, l’intimité étant brisée par la promiscuité. Quelle violence !
« Tout vient à point pour qui sait attendre ». L’adage est juste quand l’attente est prémices d’une ouverture, annonçant le déjà là d’un ‘autrement’. L’accablement né d’une attente sans fin détruit l’espoir. Que reste-t-il, une patience percluse de déceptions entraînant la perte de l’estime de soi, pour comprendre que, n’ayant rien ou si peu, les secours tarderont à venir.
Là où la reconnaissance est absente, la renaissance est bien souvent compromise.
Comment en terminer avec ce mal-logement qui dure et perdure. L’heure n’est pas d’attendre mais de tendre vers des relations plus humanisées, en d’autres termes… plus tendres.
La tendresse, antidote de l’indifférence, suscite un cœur-à-cœur, d’où alors cette interrogation qui ouvre le champ de la relation et par-là même l’avenir : et les autres ?
L’économie solidaire est un formidable levier pour susciter un autrement où les autres, enfin, ne sont pas les oubliés. N’attendons pas, l’heure est de se mobiliser pour donner à cette épargne le rôle qu’elle doit jouer, un prendre-soin, trace d’une réelle fraternité.
Cette fraternité n’est pas une figure imposée mais le fruit d’une liberté intérieure, « fil rouge » d’une hospitalité qui engage pour ne pas laisser mourir celui qui est seul, sans recours et sans soins.
L’humanisme est à ce prix, tout le reste est discours.
Bernard Devert
Mai 2021