Que de personnes confrontées au grand âge sont en deuil au regard du vivre-ensemble, considérant qu’elles sont inutiles, jusqu’à se penser comme une charge.
J’aimerais leur dire qu’elles sont une chance.
- Chance, pour nous aider à sortir de l’idée mortifère de la puissance conduisant à évaluer la personne à l’aune de son utilité, de sa capacité à produire.
Faut-il attendre les drames pour s’apercevoir ‑ et donc changer ‑ qu’ils sont, pour partie, liés au refus d’accueillir la vulnérabilité.
- Chance, pour reconnaître qu’à l’école de l’humanité, « les vieux » sont des maîtres ; l’expression est naturellement empathique à leur égard. Ils n’ont nul besoin de ces ouvrages qui encombrent et permettent de se cacher derrière un savoir académique, leur parole est libérée, épurée par les épreuves surmontées par l’intelligence de la vie.
- Chance, d’être les héritiers d’une histoire, jamais indifférente à l’avenir de ceux qui la reçoivent.
- Chance, de rencontrer ces aînés. Leurs rides ne sont-elles pas trace des aridités traversées. Leurs visages livrent avec pudeur les combats dont ils sont sortis vainqueurs dans ce passage de la possession à la libération, si bien exprimé par cet explorateur de l’esprit qu’est René Daumal, dans le Mont Analogue :
« Je suis mort parce que je n’ai pas de désir ; je n’ai pas de désir, car je crois posséder. Je crois posséder parce que je n’essaie pas de donner. Essayant de donner, on voit qu’on n’a rien. Voyant qu’on n’a rien, on essaie de se donner. Essayant de se donner, on voit qu’on n’est rien. Voyant qu’on n’est rien, on désire devenir. Désirant devenir, on vit ».
Ce trésor de vie naît de l’accumulation des pertes des idées toutes faites laissant jaillir des cœurs – non point lézardés mais creusés – une espérance que le temps patine.
A la prétention des savoirs, vous offrez, chers aînés, une richesse inattendue : le temps n’est pas l’ennemi, il est le dévoilement de ce qui, enfoui, s’avère l’essentiel, déjà l’éternel, que seule la fragilité révèle.
Bernard Devert
Janvier 2017
merci infiniment Père Devert pour vos chroniques que j ecoute depuis plusieurs annees sur Radio Notre Dame.Je viens de decouvrir votre blog et ainsi, heureuse de pouvoir enfin lire vos remarquables textes, mieux les assimiler. Fidelement