Refuser la misère, une option ? Non, une impérative urgence

Le 17 octobre, depuis 1987, est la journée mondiale du refus de la misère, à l’invitation du Père Joseph Wrezinski, Fondateur d’ATD-Quart Monde, qui mourra un an plus tard.

L’intuition novatrice de cet homme de foi, né pauvre, demeuré jusqu’au terme de sa vie parmi les siens, fut de considérer que le devoir de la Nation n’était pas seulement de contribuer à ce que les personnes vulnérables le soient moins, mais à ce qu’elles aient leur place pour apporter à la Société cette part d’humanité qui lui manque.

La misère n’est pas une fatalité ; elle est la somme d’iniquités accumulées et de jugements à charge de ceux que la vie blesse et détruit. Une écoute et un autre regard s’imposent pour ne point pactiser avec l’inqualifiable.

Mesurons ce que veut dire il n’y a pas de place. Tel est le leitmotiv qu’entendent les plus violentés par la misère. Téléphonant au 115, ils attendent longtemps, trop longtemps, que leur interlocuteur décroche, non pas qu’il soit dans l’indifférence – bien au contraire – mais les appels sont si nombreux, et les places si limitées que ceux qui les reçoivent sont submergés.

L’impossibilité d’être accueilli, alors que la nuit est parfois bien avancée, suscite alors des heures inquiètes et dangereuses.

Le petit-matin est annonciateur de la répétition infernale d’un enfermement dont les sans-domicile s’évadent souvent par des addictions. Que de regards courroucés et méprisants leur rappellent qu’ils sont d’un autre monde ; ils le savent, il n’y a pas de place pour eux.

Comment ne pas entrevoir les conséquences pour l’hygiène mental et corporel. Folie meurtrière à laquelle s’ajoutent les abus et sévices de toute sorte que subissent des êtres sans forces, oubliés sur les trottoirs. Une deshumanisation absolue qui se vit dans une grande insensibilité ! Ils n’ont pas de place, ou si peu.

Pas davantage de place pour ces familles – souvent des femmes seules avec enfants – qui, après le drame des séparations, se voient contraintes de rechercher un logement adapté à leurs ressources pour que le ‘reste à vivre’, après le paiement des loyers et des charges, permette de vivre.

Que de rejets au motif de la rupture avérée entre les revenus et le prix de la location. Il s’en suit l’errance, la perte des repères, le début d’un enfer parce qu’à un moment difficile de leur histoire, sombrent des personnes fragilisées, rassasiées de ce cri provocateur entendu pour la énième fois : il n’y a pas de place. A trop le savoir, on perd même le pouvoir de réagir.

Victor Hugo, dans une lettre publique aux élus, proclamait : « Ayez pitié du peuple à qui le bagne prend ses fils et le lupanar ses filles. Que prouvent ces deux ulcères ? Que le corps social a un vice dans le sang. Nous voilà réunis en consultation au chevet du malade ».

Ce soin exige un diagnostic du corps social dont nous sommes tous membres. Que faire pour trouver l’énergie nécessaire à une intervention qui sauve ? Il s’agit de réanimer les forces vives d’une société qui, voyant la lèpre qu’est la misère, se déciderait enfin à prendre les moyens de la guérir et non de se séparer des lépreux en les mettant à distance.

Le premier prendre-soin est de trouver des abris décents.

Il y a des logements vides, des bâtiments inoccupés comme des immeubles de bureaux désertés pour ne plus répondre à leur destination. L’heure est celle d’un recensement pour mobiliser les possibilités d’agir.

Là, où vous êtes, n’hésitez pas à faire connaître ces ouvertures. Elles seront autant de fenêtres s’ouvrant sur une espérance née, il y a 31 ans, de l’appel d’un prophète qui, dans le regard de l’homme abandonné, découvrait des raisons de croire et d’offrir à la société plus d’humanité.

Bernard Devert

17 octobre 2018

2 commentaires sur “Refuser la misère, une option ? Non, une impérative urgence

  1. Je participe à Habitat et Humanisme par l’achat d’actions sur « la Pierre Angulaire »
    Dans cet article on parle de la situation de la France au temps de Victor Hugo. Il y eut cependant une époque les années 60 et 70 où il suffisait, une fois un métier en mains,d’obtenir un emploi, une époque où l’Etat par des concours administratifs recrutait des milliers de personnes même sans grande instruction, une époque où chacun malgré des salaires peu élevés pouvait comme on dit gagner sa croute et avoir un toit.
    Alors pourquoi cette dégradation au cours des dernières décennies ? car pour avoir un toit il faut avoir du travail. Il faut aussi bien sûr avoir un toit pour être recruté dans un emploi, mais le travail étant en miettes… c’est le serpent qui se mord la queue. Et la situation continue à s’aggraver au point que ça va devenir pire qu’à l’époque de Victor Hugo

  2. Bonsoir,

    Oui, au final, il est bien de la responsabilité de tous ceux possédant des logements vacants de décider de leur vocation, universelle…Au delà des réticences et de revenus immédiats, un vrai investissement de moyen et long terme pour l’intérêt général.

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