Le grand âge fait peur, perçu souvent comme un naufrage. Toute vie, quel qu’en soit le moment, n’est-elle pas confrontée à ce risque inhérent à toute traversée avec ses tempêtes et ses angoisses.
Cette traversée dont la boussole est l’espérance se présente différemment selon que l’on est dans la force de l’âge ou au soir de la vie.
France 2 diffusait lundi 12 avril à une heure tardive le film La Vie au Grand Âge, tourné pendant deux années dans un établissement médico-social réalisé par la Ville de Versailles et notre association dont le nom n’apparaît pas ; il n’avait pas à l’être pour donner toute la place aux résidents et aux acteurs de soins.
Pour avoir assisté à la première, je ne vous cacherai pas mon émotion ; elle fut partagée par tous.
Ce film, réalisé par Anne Hirsch et Romain Hamdane, n’occulte ni les faiblesses, ni les vulnérabilités. Il témoigne d’une promesse qui n’est pas sans tendresse, levant le voile sur bien des interrogations.
Dans cette révolution qu’est la longévité de la vie, l’acte de vieillir, de bien vieillir, revêt une acuité éthique et spirituelle. Les résidents ne cachent pas que l’âge leur fait subir des épreuves auxquelles ils ne se sont pas préparés pour y consentir ; mais est-ce possible ?
Ainsi, ce couple qui ne se rappelle plus de la durée de sa vie commune, l’évaluant à 70 ans, diront l’un et l’autre séparément à Armelle, animatrice de la maison, qu’ils ne se supportent plus. Ne serait-ce pas l’aveu paradoxal d’un amour bouleversé par les outrages du temps.
Cet autre résident, heureux de ce qu’il a vécu au cours de sa vie, riche par ses engagements professionnels, s’interroge, quasiment étonné, sur le fait d’être encore là, n’éprouvant aucune joie à l’allongement de la vie ; elle lui semble vide de sens.
Le tabou de la mort ne reste pas dans l’omerta. Ce film parle par l’image et par les silences. Quand une parole vient réveiller les cœurs, la finitude perd de sa prétention à tout régir.
La vie alors se révèle prégnante dans ce passage du souvenir à une mémoire d’avenir libérée des regrets de ce qui a été pour entrevoir ce qui pourrait advenir ; la vie au grand âge devient celle du grand large.
A proximité de cette rive inconnue, éloignée de tous les encombrements, les seules amarres ne seraient-elles pas celles de l’acceptation de l’effacement du paraître pour accueillir la transparence diaphane de l’être.
Gabriel Ringlet a des mots très justes dans son livre « Ceci est mon corps » : il arrive, dit-il, que dans l’obscur d’un corps malmené, se mette à saigner le noir de l’humble joie.
Bernard Devert