Le 16 mars 2019, Frère René, moine de Belloc, et Henri Solignac, engagé au sein du CA de l’association H&H Pyrénées-Adour, m’invitaient à faire une causerie à l’Abbaye à partir de Maurice Zundel. Je n’avais pas repéré alors que Frère René, dont chacun connaît la discrétion, était un spécialiste des écrits zundéliens ; sans doute, si je l’avais su, aurais-je décliné l’invitation.
Il reste qu’après cette réunion ouverte et chaleureuse, Frère René m’a demandé si des collaborations étaient susceptibles de se mettre en place entre les Frères et l’association H&H.
Tout restait à préciser, sachant que notre venue n’avait de sens que dans une relation spirituelle et fraternelle avec la Communauté et non la reprise du domaine.
Très vite s’est posée la question : quelle place possible pour chacun. L’idée de possession, heureusement étrangère aux uns et aux autres, s’ouvrait alors une « belle avenue » pour aller vers des horizons qu’ensemble nous ne souhaitions pas esquiver, dans le respect de nos vocations respectives.
Sans emphase, dans la simplicité, je voudrais dire la joie de collaborer avec Mère Marie-Noëlle, Frère Joël et les membres respectifs de leurs Communautés.
Ce fut pour notre Mouvement une bénédiction qui ne sera pas indifférente à son avenir.
Belloc est un haut lieu de résistance. Habitat et Humanisme l’est aussi, s’agissant au nom de la Bonne Nouvelle de faire naître un « vivre ensemble » pour lutter contre les ghettoïsations qui marginalisent les plus fragiles de notre Société, d’où ces quartiers perdus pour la République.
Que d’hommes, de femmes, de jeunes se perdent jusqu’au désespoir. Saccager l’avenir, c’est détruire la personne pour oublier que chacune d’elle est une histoire sacrée.
L’Evangile commence par une naissance, et quelle naissance, qui ne recueillera aucune reconnaissance, même pas ce minimum que représente le toit. « Le Fils de l’homme n’a rien pour reposer sa tête » (Lc 9,58).
Reconnaître l’autre, le Tout-Autre, c’est s’attacher à faire naître des conditions de vie qui respectent l’intime et une vie sociale au sein de laquelle la fraternité introduit une attention à l’égalité pour lutter contre les iniquités qui enferment, paralysant l’idée même de liberté. Quelle est-elle si elle n’ouvre pas des perspectives éclairées par la bienveillance et/ou ce meilleur construisant un monde plus humain.
Bâtir est un acte de soin, fête pour l’esprit et pour les cœurs qui ne veulent point se fermer à ce drame récurrent auquel dramatiquement la Société s’habitue. Terrible, cette indifférence quant à l’absence de logements pour les plus pauvres et pour le moins, ce mal-logement pour un grand nombre d’entre eux.
L’attention à la vulnérabilité est toujours chemin d’humilité, nous rappelant que le pouvoir d’agir ne relève pas de notre seule initiative mais d’une vigilance au souffle de l’Esprit que les moniales et les moines nous aident à accueillir de par leur accompagnement riche de leur prière et de leur amitié
La foi nous invite à vivre en Ressuscité, c’est-à-dire debout pour dire non à l’insupportable. Pour ce faire, il convient aussi de s’asseoir pour vivre des temps de réflexion et de discernement. Ils nous éloignent de la relation dominé-dominant qui ne saurait avoir de place dans nos engagements, la seule finalité étant de faire place à ceux qui ne l’ont pas, ou plus.
Inutile de se payer de mots, une telle orientation transformatrice des relations est difficile mais toujours bouleversante, pour répondre à l’appel du Christ : « ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez » (Mt 25-40).
La cause des pauvres est la cause de Dieu.
« Bel’loc » restera ce qu’il a toujours été, un lieu pour ne pas se laisser assécher par l’habitude. Souvenons-nous des mots de Péguy : Le pire, c’est d’être habitué, ajoutant les « honnêtes gens ne mouillent pas à la grâce ».
Entendons ici la prière du Christ: Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. En la circonstance, ils ne font rien pour défaire les nœuds de l’indifférence qui se révèlent si gordiens pour la Société.
Il y a urgence à ne point déserter la prière pour entendre le cri jaillissant du cœur : je suis aimé du Seigneur ; alors tout est changé, plus encore transfiguré.
Après concertation avec les moniales et les moines, le projet a été présenté au Père Evêque, aux élus, aux responsables des pouvoirs publics et des associations auprès desquels nous avons recueilli leur adhésion favorable.
Je ne puis oublier la rencontre avec M Alain Rousset, Président de la Région Nouvelle Aquitaine, qui m’a demandé de remercier la Communauté pour avoir choisi par priorité un acteur qui, sans faire mystère de sa foi, est bien décidé à apporter sa contribution en vue d’un monde plus solidaire où l’autre soi l’emporte enfin sur l’entre-soi.
Je vous propose de vous faire parvenir la lettre dénommée « la Voix de Belloc » pour que demeure ce trait d’union entre les Sœurs, les Frères bénédictins et nous-mêmes, tous engagés de façon différente mais passionnante pour ne point vouloir occulter le cri de Yahvé prononcé dès le début de la Genèse : ‘Qu’as-tu fait de ton frère » ?
Habitat et Humanisme n’est pas le Bon Samaritain mais plus prosaïquement l’hôtelier, en référence à la parabole.
L’homme de Samarie touché par la souffrance d’un frère laisse, toute affaire cessante, ses préoccupations. Le savoir-être du Samaritain rejoint le savoir-faire de l’hôtelier pour, ensemble, ouvrir un chemin de vie à celui qui, roué de coups, la perdait.
Au cœur de la fragilité, le Seigneur ne cesse de nous ouvrir des voies pour mieux entendre la voix de ceux qui peinent, mais aussi celle de ceux qui, dans l’esprit des Béatitudes, luttent dans des combats qui honorent la vie spirituelle.
Bernard Devert
Mai 2022