De nouveau, ce détestable acronyme, qui devrait plutôt être remplacé par ‘la Maison de nos aînés’, a fait l’objet du focus des médias suite à l’intervention de Claire Hédon, en sa qualité de Défenseure des Droits.
Claire Hédon observe des initiatives méritant d’être saluées au sein des ehpad. Toutefois, elle rappelle non sans pertinence 5 actions capitales qui restent à mener : l’urgence d’un ratio minimal d’encadrement pour assurer un meilleur accompagnement des résidents, offrir plus de liberté aux familles et aux soignés, renforcer l’identification et l’analyse des situations de maltraitance, clarifier et renforcer la politique nationale des contrôles et restaurer la confiance des résidents et de leurs familles.
Toutes ces mesures sont bonnes et nécessaires ; il en est une autre qui relève de l’ouverture du cœur. A ce titre, elle ne peut pas faire l’objet d’une prescription pour être cet enthousiasme d’aller vers l’autre.
Un de nos directeurs écrit fort justement que cette dimension est la manifestation de la vie qui habite tous les êtres humains. Parfois, elle est enfouie par la lassitude morale ou physique, mais elle existe, dit-il, je l’ai vue. Il ajoute : quand l’humain est en activité, c’est sa périphérie qui est active pour être sollicitée par l’extérieur.
Avec l’âge, le grand âge, le temps de l’action se met en retrait mais il fait place à une conscience plus aigüe d’être là, le plaisir d’être là.
Nous entendons souvent chez les résidents l’interrogation : « pourquoi suis-je encore là », en d’autres termes, quel sens a encore ma vie, à quoi je sers. La question renvoie à l’utilité, mais exister, ce n’est pas simplement faire, c’est aussi faire surgir cette conscience que la vie a du sens ; il n’y a pas d’âge pour en être des acteurs et des témoins.
Dans le tourbillon des existences où personne n’a le temps, ou plus exactement ne le prend, la reconnaissance d’être un vivant se joue sur le fait de pouvoir agir, s’agiter, brasser, si bien que ceux qui sont en retrait de ce « bouillonnement » sont finalement condamnés à une certaine régression.
Ils ne comptent pas ou si peu.
Est-ce juste ? Non, le temps du grand âge est malheureusement compris comme une fin venant trop souvent éteindre les désirs. La conscience d’exister ne fait-elle pas jaillir ce « pourquoi suis-je là » ; cet appel à vivre doit trouver une réponse : « parce que vous êtes de ceux qui nous ont permis d’être mis au monde, d’être des héritiers de ce qui s’est construit, recherché sur un plan humain et spirituel.
Alors s’ensuit une juste reconnaissance de nos aînés.
La négligence de notre Société à leur égard ne traduit-elle pas cette culture de la finitude pour ne pas parvenir à voir dans chaque être l’infini qui l’habite.
Je pense à cette personne très âgée qui ne parlait plus, ou si peu ; sortie de sa chambre, elle s’était placée dans le couloir, toute courbée, assise sur une chaise. Lui caressant la main et le bras un peu longuement, il me fut donné la joie de la voir se relever et de bénéficier de son sourire ; il traduisait la vie qui était en elle, chassant le fini qui l’accablait ; se réveillait alors l’infini dont la tendresse est le secret.
La Maison de nos aînés, quelles que soient les règlementations, ô combien nécessaires et sur lesquelles nous nous investissons, doit se révéler des lieux de vie habités par une intériorité revisitée par cette reconnaissance due à ceux qui nous ont mis au monde.
L’infini de la vie se révèle et se comprend souvent au cœur du fragile.
Bernard Devert
Janvier 2023