Rapport moral ce l’exercice 2012 d’Habitat et Humanisme

Réunis en Assemblée Générale pour recueillir votre approbation sur les comptes de l’exercice 2012, préciser les orientations de notre Mouvement pour les conforter et en faciliter l’adhésion, nous avons l’honneur de vous présenter le rapport moral.

Habitat et Humanisme, confrontée à la montée des précarités et l’aggravation des pauvretés, est tenue de mieux faire comprendre l’urgente nécessité du vivre ensemble à un moment où la cohésion sociale est en souffrance.

Il ne semble pas inutile de rappeler dans ce rapport moral les raisons qui nous invitent à ne point renoncer à la diversité des peuplements au sein d’un quartier, d’une rue, voire d’un immeuble, à une heure où cette mixité est parfois mise en question.

Ce désir de vivre ensemble existe-t-il vraiment  ou n’est il qu’un alibi permettant de garder encore quelques illusions dans un monde désenchanté.

Habitat et Humanisme, depuis 28 ans, promeut une action de résistance à la stigmatisation du logement pour privilégier la diversité sociale dans une attention à réconcilier l’humain et l’urbain.

A une heure où tant de personnes vivent le mal logement, la question de la mixité peut apparaître seconde, les urgences donnant priorité au palliatif. Notre société serait-elle plus malade qu’elle ne le pense pour ne point éprouver la nécessité de soigner les maux qui la déstabilisent ?

Certes, des avancées notables ont été obtenues avec la loi sur la Solidarité et le Renouvellement urbains (SRU), revisitée par Mme Cécile Duflot pour imposer aux communes de plus de 3500 habitants 25% de logements sociaux. Rappelons que, de par leurs ressources, plus de 70% de nos concitoyens sont éligibles à un logement aidé. Nombre de communes consentent à ce dispositif mais dans des espaces spécifiques qui amplifient la discrimination !

Plus grave encore, dans une commune résidentielle, le Maire fait voter à son Conseil Municipal la non-constructibilité d’un terrain en vue de la création d’une aire de jeux, ‘volant’ ainsi aux foyers vulnérables la possibilité de trouver leur place.

Un jeu de massacre à l’égard des plus fragilisés.

Qui peut penser que la différence constitue une menace, sauf à s’installer dans une culture de l’exclusion et du mépris.

Qui peut consentir au regard souffrant de ces enfants qui n’ont point de toit ou de ces personnes qui, au soir de leur vie, sont dans le dénuement, confrontées à la solitude, alors que la perte des forces les rejoint.

Il est de ces décisions dont le cynisme fait frémir, tant ces jeux de l’entre-soi rejettent derrière soi l’espérance.

La diversité sociale n’est ni une cohabitation ni une juxtaposition pour instaurer la personne et la ville :
–    la personne, suivant l’expression d’Edgar Morin, se construit dans la relation à l’autre, dans cette tension entre l’autonomie et la dépendance, l’aptitude et l’insuffisance, alors que l’individu par ses illusions de puissance et d’autonomie fait échec à l’échange.
–    La ville offre la chance d’une plus grande créativité avec le décloisonnement des quartiers et des strates sociales. L’approche de l’hétérogénéité nécessite, sans doute, les conditions d’un apprivoisement, mais elle appelle tout autant une ambition politique pour une cohérence entre les liens et les lieux sans laquelle la cité, meurtrière de l’humain, porte les traces de l’apartheid.
La mixité procède d’une utopie : un lieu à faire naître pour tisser des relations avec les plus fragilisés ; leur présence est une école d’humanité.

La déception est grande de voir cette fracture s’aggraver. Alors, gronde une indignation menée par Stéphane Hessel qui nous quitte en ayant suscité dans les esprits une résistance renouvelée pour ne point pactiser avec l’indifférence, cause de bien des misères. Habitant une secrète espérance, il est un « indigné », éveillant à une solidarité dont nos sociétés ne sont pas avares dans les moments difficiles.

Honorer Stéphane Hessel, c’est poursuivre la mobilisation contre les injustices. Qui peut en contester la nécessité. S’impose l’ouverture d’un grand chantier, redonnant souffle à une société amère de voir ses élites et trop de ses édiles se perdre dans l’inessentiel.

Le chantier de la cohésion sociale ne peut être déserté. L’ouvrir appelle la maîtrise des peurs pour porter le débat sur la seule question qui vaille : le sens. Sommes-nous prêts, suivant le mot de Jean Marie Domenach, à ne pas nous contenter de penser contre, ni de penser ailleurs, mais de penser là où ça fait mal. Sans ce courage, les causes endémiques du mal logement, dénoncées depuis plus de 60 ans, subsisteront.

Sans audace, comment supprimer les lieux de non-droit à force de créer passivement les conditions de relégation  et d’une non-intégration. Un enfant sur cinq, victime du mal logement voit son avenir compromis.

Qui peut dire je ne savais pas ?

D’aucuns  se demandent pourquoi construire dans des quartiers dont le foncier est élevé alors que tant de  foyers sont à la recherche d’un toit, d’où la tentation de céder à l’idée de l’étalement des villes plutôt qu’à leur densification pour ne point s’attaquer à ce fléau que représentent les rentes foncières aggravant la pauvreté.

Le maintien des rentes foncières n’est pas admissible tant il éreinte ceux qui n’ont comme revenus que le fruit de leur travail.

Ne marchons nous pas sur la tête pour observer que les prix de l’immobilier ont augmenté de plus de 140 % sur 7 ans, alors que sur cette même période la hausse des salaires médians est restée inférieure à 25 %

Le travail, quel scandale, n’autorise pas toujours à trouver un logement abordable, sauf au prix d’un tel effort que le « reste pour vivre » n’est pas étranger à bien des ruptures aggravant les précarités au point de leur ajouter la misère affective (familles monoparentales).

La mixité, est un combat permanent. Il l’est d’autant plus que dans un contexte de chômage à un niveau jamais atteint, d’un sentiment partagé d’impuissance et d’une irrésistible perte de la croissance, surgit cette interrogation amère et délétère « Sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » Rien, sauf la crainte exacerbée des classes moyennes peu enclines à habiter en proximité des personnes qui leur font entrevoir une situation de vulnérabilité qui pourrait devenir rapidement la leur.

Si Habitat et Humanisme ne peut pas faire fi de ces sombres données, elle se doit de renouveler et d’accroitre son action pour faire bouger les lignes, à commencer par cette réflexion que nous ne sommes pas dans un temps de crise, mais de mutation.

Quelle différence ?

Les crises créent des passéismes avec ce secret espoir qu’on s’en sort comme on quitte un tunnel, suivant l’expression si souvent retenue par les politiques. Le temps de mutation, en revanche, est un moment novateur appelant l’audace et l’enthousiasme. Des crises, on espère en sortir, dans une mutation, on y entre.

Ouvrir le chantier de la réconciliation entre l’humain et l’urbain, n’est-ce point veiller à ce que les villes soient un possible pour tous. La mobilisation n’est pas à la hauteur de l’enjeu.
Au cœur de nos communs engagements, ne conviendrait-il pas de mettre l’accent sur les deux mesures suivantes :
–    plaider le « construire plus » mais aussi le « bâtir autrement » en focalisant la réflexion sur l’aménagement du territoire. Le Gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, dans sa lettre au Président de la république (mai 2013) met en exergue la distorsion entre les crédits affectés au logement (près de 47 milliards €) et l’impossibilité d’en découdre avec le mal logement. Aussi regrette-t-il « qu’il y ait peu de doutes et peu de débats sur les causes de cette inefficacité.»
Il convient cependant de noter que les logements sociaux financés en 2012 sont en recul de 13% par rapport à ceux de 2011.
–    développer la finance solidaire pour une économie plus humanisée :

1 – l’aménagement du territoire doit être revisité

Le travail a changé, mais point nos comportements.

Nous sommes rentrés dans une ère de l’immédiateté, mais restons rivés à des postures anciennes et grégaires conduisant à concentrer sur les grandes agglomérations les emplois, alors que des territoires meurent avec leur cohorte de milliers de logements vacants.

La distinction entre les zones tendues et celles qui ne le sont pas a la justification du court terme, mais elle ne saurait occulter la question de l’équilibre entre les territoires.

Notre communication doit mettre l’accent sur cette orientation après une large consultation d’élus, d’acteurs économiques, sociaux et culturels.

Cette réflexion sera présente lors de la rencontre du vivre ensemble que nous organisons à Lyon les 16 et 17 décembre 2013, avec le concours appuyé d’Olivier Faron, Directeur de l’Ecole Nationale Supérieure, de Jean-Michel Dumont, Directeur du Collège Supérieur, en concertation avec des chercheurs de l’Institut de France et de son Chancelier, M. Gabriel de Broglie, Président de la Fondation Habitat et Humanisme.

2 – Le développement de la finance solidaire :

La crise de 2008 a singulièrement « boosté » la finance solidaire en raison d’un écœurement que suscitèrent trop de dérives d’une économie qui, mettant le cap sur le virtuel, la financiarisation, abandonnait le réel sans s’apercevoir des abîmes qu’elle causait.

Comment ne pas se réjouir de la progression constante de l’épargne solidaire. Il y a encore quelques années, elle n’était connue et partagée que par des militants. Son périmètre s’est ouvert à tous ceux qui, s’éloignant des illusions du grand soir, s’interrogent sur la question du sens incluant celui de la finalité de l’argent.

Notre recherche de cohérence entre économie et social, richesse des biens et richesse des liens, fait d’HH une des premières entreprises à bénéficier de l’épargne solidaire. Comment ne pas exprimer notre gratitude aux grands acteurs de l’épargne salariale que sont Axa, Amundi, Aprionis, BNP, CM CIC Asset Management, Natixis.

La Caisse des Dépôts et Consignation, un de nos premiers partenaire financiers, saluait lors du renouvellement de sa convention avec la Foncière le fait que nous sommes la seule société à vocation solidaire à intervenir au titre de l’Appel Public à l’Epargne pour avoir sollicité et obtenu 27 visas de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).

En 2012, notre Foncière recevait le statut de SIEG l’instituant comme un acteur d’intérêt général du logement, nos programmes n’étant pas indifférents à la mobilisation de l’épargne solidaire, signe de cet autrement recherché.

L’effort de chacun pour faire sortir de terre de nouveaux logements dans cette perspective d’une terre enfin habitable par tous mérite d’être relevé :

  •  à Bordeaux, la Maison Saint-Fort de 21 logements. Lors de son inauguration, à quelques jours de Noël 2012, quelle joie de voir les riverains, dans ce quartier privilégié, témoigner de leur adhésion à cette opération jusqu’à offrir à leurs occupants des cadeaux. Une première qui ne laissa pas indifférent M. Alain Juppé et la Chambre des Promoteurs Constructeurs qui apporta sa contribution  au financement.
  •  à Montpellier, dans un quartier résidentiel, construction d’une maison relais suivie prochainement d’une maison médicalisée.
  • A Versailles, création, en lien avec la Municipalité et le CCAS, d’une plateforme de soins appelée à être suivie d’une maison intergénérationnelle.
  • à Aix en Provence, Le Mans, Marseille,  Mulhouse, Paris, Tours… des programmes qui, chaque fois refusent les exclusions pour que l’habitat devienne signe d’une humanité plus réconciliée.
  •   A Lyon, le programme sur l’ancien site des prisons de Lyon.

L’ouverture n’est jamais d’évidence. Il faut la volonté de la construire. Telle est bien la perspective de cette opération bien nommée : « la vie grande ouverte ».

Ouverture sur le savoir avec la présence de l’Université Catholique et de ses Instituts de recherche.

Ouverture sur l’emploi avec des immeubles abritant des activités tertiaires.

Ouverture sur une humanité blessée par l’accueil de personnes malades et isolées, accompagnées par des étudiants dans cette vigilance à la fragilité qui, suivant la juste expression de Paul Ricœur, est l’objet même de la responsabilité ; elle est la nôtre.

Ouverture sur le champ sociétal avec la création d’un laboratoire de l’économie solidaire. Les crises traversées ne font-elles pas apparaître l’urgence d’une réflexion à partir d’un partage des savoirs et des pratiques. La naissance d’une économie durable, tant espérée, nécessite que soit revisité le sens de l’agir en cohérence avec des pratiques mettant au pas les logiques de court terme.

Dans la dynamique du quartier de La Confluence, l’ancien site des prisons offre la chance d’un refus d’une ville, vitrine des indifférences, des exclusions et des plafonds de verre.

L’urbanité recherchée ne fait pas fi d’une utopie pour être précisément cette ouverture à un monde spirituel qui sans doute jamais ne se trouve mais toujours s’éprouve. Alors, se construit cette ville à « visage humain » nous rappelant avec Paul Eluard : « il est un autre monde, il est dans celui-ci ». Nous ne le déserterons pas.

Une conviction nous habite, celle de refuser que le logement soit un marqueur, qui est au social ce qu’il est à la santé, le signe de l’évolution d’un cancer.

Or, que de cancers rongent notre tissu social jusqu’à le déchirer. Trop d’hommes et de femmes sont nommés à partir de ce qu’ils n’ont pas : ils sont les sans domicile, sans travail, sans formation, sans relation.

A force de pointer ces manques et même de les « abriter », se fait jour ce sentiment de n’exister pour rien ni pour personne. La grande douleur des pauvres, disait Maurice Zundel, c’est que personne n’a besoin de leur amitié, rappelant l’expression de l’un d’eux « chez nous on passe, jamais on ne s’arrête ».

Arrêter la misère, c’est savoir s’arrêter pour être là où des hommes ont mal, là où ça fait mal.

Dans cette perspective, deux convictions nous habitent :
–    la justesse de notre combat, tant est inacceptable le malheur que représente le drame du mal logement,
–    l’obligation de changer d’échelle dans la perspective de notre livre collectif « En finir avec le mal logement, une urgence et une espérance ». Qu’il me soit permis de remercier Roger Fauroux et Bernard de Korsak de leur forte implication.
A cette urgence et à cette espérance, nous sommes appelés.

Des mots qui nous creusent jusqu’à devenir une parole opératoire : notre parole, celle là même qui nous réunit dans la joie et parfois dans  la tristesse.

Tristesse avec la mort de Michel Falise. Economiste, Président des Universités Catholiques Européennes, homme politique, il a contribué de façon magistrale au développement du Mouvement en lui offrant ses fondements intellectuels.

Joie, pour ce que chacun d’entre vous rend possible. Tant de personnes mériteraient d’être nommées ; j’ose avancer trois noms, Patrice Raulin pour avoir accepté en 2012 la gérance de la Foncière, Pierre Jamet la présidence du Conseil de Surveillance et Antoine Fayet la Vice-présidence de la Fédération.

Une mention pour Patrick Charvériat qui, après huit ans d’un engagement exceptionnel au sein du Mouvement, s’éloigne, espérant que ce ne soit pas totalement. Nous lui exprimerons notre immense gratitude le 4 juillet pour lui remettre les insignes de Chevalier dans l’Ordre National du Mérite. Il a choisi son successeur en la personne de Philippe Forgues qui, déjà parmi nous, apporte sa compétence dans une sérénité qui n’a d’égal que son dévouement.

Bien cordialement.

Bernard Devert
Mai 2013

2 commentaires sur “Rapport moral ce l’exercice 2012 d’Habitat et Humanisme

  1. Beaucoup d’écrit depuis des années, des lois, et quelques années après on en est toujours au même point malgré les milliards investis.

  2. Eh bien oui !.. des lois, des discours… et toujours des gens à la rue… depuis le coup de gueule remarqué de l’Abbé Pierre en février 1954. Que faut-il donc pour que les choses bougent, que le logement soit reconnu comme un droit sociétal pour tout citoyen ? Sans doute que les esprits et les cœurs se laissent convaincre ou attendrir.. et que tous les résidants d’une nation comme la nôtre acceptent de contribuer « à ce bien commun essentiel » en fonction de leurs moyens et possibilités.
    C’est comme la nourriture, avec des éléments financiers complexes en plus car il faut de l’investissement de long terme, certains n’ont plus de quoi nourrir leur famille, et le plus grand nombre gaspille sans vergogne et sans remords…
    Que chacun agisse à sa porte, en conscience. Michel CHATAIGNER

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