Ce jour ne sera jamais trop long. Il devrait trouver trace dans toutes nos journées tant l’honneur de l’homme est de dire non à l’inacceptable misère.
Comme nous souhaiterions que cette célébration soit celle de la mémoire de ceux qui l’ont connue ou encore de tous ces témoins qui ont eu l’audace comme le Père Joseph Wresinski de se lever pour ouvrir d’autres perspectives.
Or cette misère est là, prégnante avec la cohorte des drames qu’elle entraîne.
Ennemie, cette misère trop souvent stigmatisée avec des pourcentages voilant les visages de ceux qui la connaissent. Ces innommés ne sont-ils pas victimes d’un mal innommable qui ronge et détruit la cohésion sociale.
Que d’hommes et de femmes sont désignés à partir de ce qu’ils n’ont pas. Ils sont les « sans domicile, sans travail, sans affection, sans formation ». A force de mettre en exergue ces cruels manques, ils ont parfois le sentiment de n’exister pour rien ni pour personne.
Il n’y aurait donc personne pour entendre et comprendre.
Misère que de ne pas savoir refuser l’inacceptable. Que de regards simplement croisés, pour ne pas se laisser toucher par leurs inquiétudes, voire leurs angoisses ; que de cécités, pour ne pas voir ce qu’ils supportent.
Nous dérober au refus de cette lutte contre la misère c’est briser toute espérance.
La grande douleur des pauvres, disait Maurice Zundel, c’est que personne n’a besoin de leur amitié. Ce grand prophète de la foi nous fait entendre l’observation de l’un d’eux « chez nous on passe, mais on ne s’arrête pas».
La misère passera si nous savons nous arrêter pour être là où des hommes ont mal, là où ça fait mal.
Vous nous permettrez de vous rejoindre alors que vous pourriez légitimement nous le refuser pour être déçus de ce que nous n’avons pas ou insuffisamment fait.
Vous êtes riches de bienveillance jusqu’à refuser les jugements, trésors des dominants.
Tristesse de ne point faire céder cette misère ; elle nous use tous jusqu’à la corde. Joie cependant d’observer que, ici et là, déliés de nos tabous, de nos idées reçues, nous saisissons que cette corde peut aussi nous permettre de marcher en cordée pour gravir des sommets d’humanité.
Tel est peut-être le sens de ce 17 octobre, jour de la fraternité, laquelle est présentée par Jacques Attali comme une vieille dame qui « ferait tapisserie ». Offrons-lui quelques pas pour faire danser l’espérance.
Alors, la misère traversée, nous quitterions la déshumanisation de ceux qui en sont victimes et aussi un peu la nôtre pour la tolérer ou simplement se résigner.
Bernard Devert