La grâce de l’inattendu

Il y a quelques mois, les médias se sont faits l’écho d’un Roumain sans domicile, agressé sauvagement.

Un journaliste qui s’était rapproché de lui depuis quelques mois, me joignit, douloureux de cette violence aussi gratuite que dramatique. L’agresser pourquoi, alors qu’il n’a rien.

Le fait d’être sans toit devient si gênant que certains voudraient faire disparaître les S.D.F. surtout s’ils sont étrangers, mais pour aller où, les envoyer à l’hôpital. Il n’y a pas de place ou plus exactement, il y a une intolérance aux différences stigmatisées par l’absence de logement ou encore de ressources sauf celles de ces piécettes qui tombent suivant l’humeur ou l’amour des passants.

Victimes des accidents de la vie, nombre de ces personnes ne sont-elles pas considérées comme coupables par une Société qui, pour se dédouaner de l’inacceptable, prend parfois la posture de juge.

La sanction tombe avec le couperet de la force de la chose jugée, aggravant encore l’isolement et la désespérance de ceux qui voient se dérober devant eux tout avenir.

HH offrit un logement et un travail à ce frère qui « se mit en quatre » pour exprimer sa reconnaissance.

Nombreux n’en sont point revenus de ce voyage intérieur que nous offrit ce frère blessé, nous préparant secrètement à une traversée faisant tomber les frontières, à commencer par celles des idées préconçues à l’égard de la misère.

Il est de ces rencontres « dangereuses » pour nous éveiller à des interrogations quasi existentielles, nées de relations avec des frères si désarmés qu’ils vous désarment. Quittant alors nos armures, censées nous protéger mais qui ne font que nous éloigner de nous-mêmes, nous voici enfin libres pour risquer un autre regard, celui de la confiance : l’autre n’est plus un pauvre homme mais un homme, un frère vulnérable comme nous aurions pu l’être, voire le devenir.

Rien n’est encore changé et pourtant tout est différent. Ces heures de reconnaissance conduisent à s’élever et à relever pour entrevoir que les idées illusoires de puissance sont destructrices d’humanité. Que reste-t-il alors : une confiance qui fait naître.

Quelle ne fut pas ma surprise et ma joie que je viens vous partager. Dimanche, alors que je célébrais l’Eucharistie à une heure tardive, ce frère arriva avec un peu de retard dans la Chapelle mais il m’offrit une avancée inespérée. Dans une fulgurance, il m’apparut avoir les traits du Ressuscité.

Ses profondes rides, marquées par l’épreuve, étaient des puits de lumière. Il s’était redressé ; son visage témoignait d’une grande douceur pour avoir chassé toute amertume et peur du lendemain.

L’Evangile de ce même dimanche nous invitait à méditer la rencontre de Jésus avec les Pharisiens au sujet du paiement de l’impôt. Il nous souvient de sa réponse : « Rendez à César, ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu.

Il me sembla alors que rendre à Dieu, c’est se rendre auprès de ceux qui craquent, ont mal, pour être rejetés dans des périphéries sombres. Rendre à César, c’est aussi se rendre compte de la mesure des pouvoirs qui enferment et qui sont aussi ces lieux où l’on ment et se ment pour occulter les vérités aux fins de mieux bâillonner la liberté.

Toi, frère, dans ta pauvreté, tu m’as fait entrevoir une autre richesse. Ne serait-ce pas la grâce de l’inattendu.

Bernard Devert
Octobre 2014

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