L’Economie Sociale et Solidaire

2014 est une date importante pour cette forme d’économie, enfin bénéficiaire d’une loi. Le texte du 1er août sur l’ESS n’est pas sans connaître des limites et la trace de crispations, le législateur ayant écarté des marchés financiers les titres des sociétés répondant à ce nouveau statut.

L’économie sociale et solidaire doit répondre au moins à deux critères :
•    une gouvernance qui ne soit pas liée à la seule détention du capital,
•    une lucrativité contenue, l’activité devant privilégier le développement et non le seul partage des bénéfices.

Les sociétés commerciales peuvent bénéficier de ce statut, mais elles doivent faire la preuve de leur utilité sociale définie comme le soutien aux personnes en situation de fragilité, ou encore la lutte contre les exclusions et les inégalités.

L’appartenance à l’ESS se présente comme une résilience entre le social et l’économique dans la perspective d’une responsabilité partagée pour une société plus humanisée, traversée par la question du « prendre soin ».

Une étape importante préfigurant une loi nécessaire pour offrir à l’entreprise un statut, premier acteur désormais de la finance solidaire.

Que de malentendus sur l’entreprise comme nous avons pu l’entendre entre le Ministre du Redressement productif et les dirigeants du Groupe Peugeot accusés hâtivement d’erreurs quant à leur stratégie.

Ces reproches excessifs ne procèdent-ils pas d’un vide juridique : la société est reconnue, l’entreprise est absente.

Ce grand juriste que fut Jean Rippert disait que le monde est peuplé d’êtres nouveaux qui ne sont pas comptés dans le dénombrement de la population et qui pourtant sont aussi vivants que des êtres physiques. Seulement cette « population nouvelle » est recensée de façon singulièrement réductrice pour offrir aux seules personnes morales, les sociétés, une capacité de plein exercice.

L’article 1832 du code civil définit la société à partir de deux éléments : l’affectio societatis et la volonté de se réunir, en vue du partage des bénéfices. L’acte d’entreprendre est singulièrement limité : quel partage de cet affectio societatis pour les salariés, fussent-ils des cadres ?

L’espoir de la richesse est une force de création qui se trouve quelque peu annihilée par des captations dirigées davantage vers la société que l’entreprise. Ne nous étonnons pas alors des frustrations de ceux qui, concourant au développement de l’entreprise, voient la société comme un lieu captatif des résultats, blessés pour être séparés des enjeux de décisions. Cette observation vaut aussi pour nombre d’actionnaires dans les Assemblées Générales avec ce ressenti que les Conseils d’Administration seuls décident. Les sociétés sont omniprésentes, les entreprises sont absentes, faute d’être instituées ou vraiment représentées.

Est-il juste de considérer que les actionnaires sont les seuls propriétaires de l’entreprise ? Certes, ils possèdent un titre financier mais cette part du capital est susceptible d’être cédée en Bourse du jour au lendemain. Une responsabilité aussi limitée dans la durée met en exergue le vide juridique du statut de l’entreprise, confrontée à des obligations singulièrement plus longues et lourdes, à commencer par ses engagements vis-à-vis des salariés.

La société se construit à partir d’une connaissance (affectio societatis). L’entreprise procède d’une reconnaissance de ceux-là mêmes qui, dépassant le court-termisme, l’inscrivent dans une finalité qui n’est pas seulement d’enrichir les associés mais aussi la Cité par le partage des liens économiques, financiers et sociaux à partir desquels s’opère une recherche constante du sens qui, seul, donne au possible de l’échange la source de nouveaux possibles.

Ne sommes-nous pas là précisément dans une approche de l’entrepreneuriat qui ne demande pas à être qualifié de social ou de solidaire, dès lors qu’entreprendre durablement c’est désirer « faire société » en incluant davantage de confiance et de solidarité.

S’ouvre un chantier aux juristes, économistes et praticiens de l’acte d’entreprendre pour que s’élabore le concept de l’entreprise offrant à ses différents partenaires la reconnaissance de leurs échanges et les conditions favorisant leur développement pour une contribution du bien commun.

L’entreprise est au cœur des paradoxes et des contradictions : si elle est le lieu privilégié de la création des richesses, elle est aussi celle de l’autonomie du profit ; elle est source de solidarité mais cause bien des exclusions.

Et si la loi sur l’ESS donnait un rendez-vous pour ouvrir cet important chantier.

Bernard Devert
Octobre 2014

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