2015, l’année des 30 ans d’HH : une fête en attente de la défaite du mal-logement Aidez-nous à ce qu’elle ne tarde point

Habitat et Humanisme est née au printemps 1985. Hasard du calendrier, ou nécessité d’atténuer l’hiver sans fin que vivent trop de personnes vulnérables à la recherche d’un toit, éprouvées par le fait d’être peu considérées.

L’offre d’un logement lorsqu’elle intervient après plusieurs mois, voire des années, s’inscrit souvent dans des quartiers marqués par la précarité, quand ce n’est pas la misère.

L’hiver, là encore perdure.

Entrer en résistance, tel est notre engagement pour lutter contre un mal qui tue (cf. les morts de la rue) ou encore assassine l’espérance de ceux que la vie fragilise.

La Société s’est habituée à entendre l’aggravation du mal-logement, jusqu’à parfois douter de la possibilité de l’éradiquer ; quel drame de tout dramatiser.

Il s’agit d’ouvrir des portes pour fermer des clichés trop souvent utilisés comme alibis au peu d’empressement de lutter contre la pauvreté. Paul Ricœur rappelle que loin d’être une menace, la fragilité est une invitation pressante à la responsabilité du « prendre soin ». La Société l’aurait-elle oubliée ?

L’urbanisme peine à faire émerger la diversité sociale.

Lorsque la loi Solidarité et Renouvellement Urbains (SRU), du 13 décembre 2000, est venue corriger « la pratique du même », la tentation fut celle d’un durcissement. Que de réserves et de refus explicites des communes préférant payer des pénalités plutôt que de construire.

En 2013, ces pénalités sont de 130 millions d’euros, contre 38 M € en 2012. Cet écart souligne la volonté de l’État de rendre plus opératoire la loi S.R.U., notamment auprès d’1/3 des communes qui sont en infraction.

Si la République est une et indivisible, elle consent à des ghettos et même des apartheids. Trop de logements sont construits dans des « parcs à quotas », des « réserves » qui stigmatisent et éloignent les plus pauvres. Qu’en est-il alors de leur possibilité de trouver place dans une Société tant ils se sentent rejetés.

Les enfants des populations aisées accèdent relativement facilement à l’Université ou aux classes préparatoires alors qu’en 40 ans l’accès à l’enseignement supérieur des jeunes, issus de milieux fragilisés, a reculé. Que de disparités aussi face à l’emploi ! Le chômage de la jeunesse des quartiers défavorisés est sans commune mesure avec celui que connaissent les milieux privilégiés.

Observant cette injustice, le Proviseur d’un lycée de classes préparatoires aux Grandes Ecoles se rapprocha de ses homologues dans des quartiers sensibles. Il lui fut souligné les ruptures liées aux codes sociaux, à la précarité des parents et aussi au coût de l’habitat dans les quartiers résidentiels où se trouvent souvent ces « classes d’excellence ».

La carte scolaire traduit bien la rigidité de notre Société, d’où l’urgente nécessité de faire du logement un vecteur d’intégration.

La mixité sociale n’est ni une cohabitation, ni une juxtaposition, elle instaure la personne qui, suivant l’expression d’Edgar Morin, se construit dans la relation à l’autre, dans cette tension entre l’autonomie et la dépendance, l’aptitude et l’insuffisance alors que l’individu, de par ses illusions de puissance et d’autonomie, fait échec à l’échange.

Le mal-logement, auquel s’ajoute l’insuffisance de la diversité sociale, est un cancer. Ses métastases délitent les liens sociaux, détruisent des familles et fissurent les trois piliers de notre République.

Quelle liberté pour les familles les plus pauvres quand le taux d’effort insupportable qui leur est demandé donne trop souvent lieu à des procédures de recouvrement de loyers et de charges annonciatrices d’expulsions.

Quelle égalité quand la loi est bafouée ? Au titre du DALO, plus de 55 000 foyers en 2014 devaient bénéficier d’un logement, mais ce droit ‑ et pour cause ‑ s’est avéré virtuel.

Quelle fraternité quand des centaines de milliers de familles recherchent vainement un logement ? Comment une Société en est-elle arrivée à tolérer l’inacceptable avec des mamans et des enfants souvent condamnés à vivre en squats, quand ce n’est point la rue.

A l’heure du 30ème anniversaire de la création d’HH, il n’est pas inutile de s’interroger sur la progression des deux intuitions fondatrices qui l’ont fait naître : la réconciliation de l’économique et du social et celle de l’humain et de l’urbain.

Un constat s’impose : elles n’ont pas progressé au même rythme.

Qu’en est-il d’HH comme acteur de la réconciliation de l’économique et du social ?

Si les épargnants solidaires furent, à l’origine des militants, ce qualificatif doit être désormais nuancé avec l’impact de l’épargne salariale solidaire représentant au 31 décembre 2013 un montant de 3,7 milliards d’euros, soit plus de 51% de l’encours de la finance solidaire.

Ainsi, l’entreprise, loin d’être absente de cet enjeu, se révèle le 1er acteur de cette forme d’économie. L’affectio societatis n’est plus exclusivement le partage des bénéfices pour être traversé par un engagement solidaire à l’égard des exclus.

L’épargne salariale au sein de la Foncière HH représente 28 % de son capital.

Si l’argent parfois brutalise et sépare, il actualise ici le champ de nouveaux possibles, brisant des situations désespérantes.

La montée des précarités et de la pauvreté hurle des urgences nécessitant une mobilisation plus forte de l’économie solidaire avec de nouveaux supports, notamment celui de l’assurance-vie dont l’encours est de 1 500 milliards d’€ ; imaginons simplement 10% investis dans le solidaire et c’est le printemps d’une économie humanisée.

Déjà des grandes Compagnies travaillent sur cette approche ; là encore, des raisons d’espérer pour observer une plus grande attention à l’humain.

Cette forme d’économie, richesse de l’esprit d’entreprendre, met hors d’âge la maxime de Montaigne : « le profit de l’un est le dommage de l’autre ». Les lignes ont bougé, des rêves se réalisent ; la trace de gratuité dans l’économie semblait folie, voici qu’elle suscite des résultats encourageants dans cette recherche d’une économie humanisée.

Qu’en est-il d’Habitat et Humanisme comme acteur de réconciliation de l’humain et de l’urbain ?

L’action de chacun d’entre vous a permis de rapprocher des personnes de cultures et de revenus différents, offrant à des foyers fragilisés un accès à la ville qui leur était jusque-là souvent interdit.

La ville à visage humain, pour être ouverte aux différences, reste encore à bâtir. L’honnêteté intellectuelle doit nous conduire à reconnaître que nous avons seulement commencé à faire tomber des murs pour une Société plus ouverte.

Je n’existe plus comme un pauvre, dit l’un de nos locataires qui, après avoir cumulé des handicaps quant à son intégration jusqu’à connaître la rue, s’est vu proposer un logement effaçant toute trace de stigmatisation sociale. Cet habitat lui offrit un avenir en l’anticipant.

Une reconnaissance qui donne naissance à un autrement.

Puis-je me permettre de vous proposer ma vision d’HH pour les cinq années qui viennent.

Le contexte est très différent de celui d’il y a 30 ans où il me fut donné de créer HH pour être désormais confrontés à une précarité massive, récurrente, ainsi qu’à une transformation des relations sociales qui touchent la famille.

Il est parlé constamment de « crises » aux fins d’anesthésier l’inconnu d’un changement qui comme toujours fait peur. Il faut pourtant se rendre à l’évidence, il n’est pas question d’une sortie de crise dès lors qu’on entre dans des temps nouveaux ; nous en sommes à la charnière.

Nombre des emplois perdus ne se retrouveront pas, d’autant que la croissance attendue ne sera pas celle espérée.

Aussi, la demande de logement à faible loyer ne peut que s’accroître d’autant que l’immigration se poursuivra, les Pays développés demeurant l’eldorado pour ceux qui n’ont rien, outre le fait que les modifications climatiques entraînent une désertification de terres qui inexorablement se révèleront inhabitables.

Le vieillissement de la population n’est pas non plus indifférent à l’augmentation du nombre de logements, outre la durée de la vie marquée par des relations affectives aussi éclatées que précaires.

Les causes du mal-logement relèvent à la fois d’un manque de ressources mais aussi d’un éloignement de la source, bien traduite par le livre de l’Humanité : « Qu’as-tu fait de ton frère » ?

En suis-je le gardien, s’interroge le fratricide. Le mal-logement n’est-il pas meurtrier de l’humain.

Il faut aussi observer que nous intervenons dans un contexte où l’individualisme plus prégnant que ce que nous avons connu il y a 30 ans, nous met à une certaine distance de l’attention à l’autre, nous rappelant l’expression de Diderot : « Je veux que la Société soit heureuse ; mais je veux l’être aussi. ».

La recherche du bien commun apparaît-elle encore comme source du bonheur, enjeu pour l’avenir de nos Sociétés et responsabilité pour HH.

Je vous partage mon interrogation qui traduit une inquiétude quant à l’immense fracture que vivent les territoires difficiles, ces banlieues qui se révèlent, suivant l’étymologie du mot, le lieu du bannissement.

Habitat et Humanisme s’ouvre à deux perspectives qui ne sont pas étrangères à la réduction de cette fracture :

  1. L’offre du logement dans le cadre du Droit Au Logement Opposable

Le DALO est plus qu’un dispositif facilitant l’accès au logement, il participe aux droits de l’homme. Il est heureux que chaque citoyen soit reconnu, et comment peut-il l’être s’il ne bénéficie pas d’un habitat décent.

L’application de ce droit fait se lever une juste inquiétude de la part des maires des communes les plus sensibles qui voient leurs logements, d’une certaine façon, « réquisitionnés » pour les plus vulnérables.

Il s’ensuit une France fracturée, celle des « riches » et celle des « pauvres » ; l’unité de la République et l’exercice de la démocratie s’en trouvent forcément troublés.

Un représentant de l’État, conscient de cette situation, négocie avec des maires de communes en difficulté, les assurant que les bénéficiaires du DALO auront des revenus qui n’aggraveront pas encore la pauvreté de leurs territoires.

Surgit alors la question : que deviendront les plus pauvres ?

L’équilibre du territoire est alors posé.

Quelle réponse pour HH qui privilégie le logement au sein des villes. N’est-elle pas appelée, dans le continuum de son intuition fondatrice, à construire à plus grande échelle dans des quartiers socialement équilibrés.

L’enjeu est de participer à un meilleur équilibre des territoires, d’où la nécessité d’intervenir sur la question de l’Aménagement.

Un problème politique est alors posé quant aux rentes foncières dont le maintien éreinte ceux qui n’ont comme revenus que le fruit du travail. Les classes moyennes sont elles-mêmes touchées.

« Ne marchons-nous pas sur la tête » pour observer que les prix de l’immobilier ont augmenté de plus de 140 % sur 7 ans alors que sur cette même période, la hausse des salaires médians est restée inférieure à 25 %.

Il nous appartient d’entrer dans une approche pragmatique visant le démembrement de la propriété. L’innovation économique doit participer à un meilleur équilibre des populations, en veillant à refuser les marchés débridés condamnant les plus fragiles à des « restes pour vivre » qui s’apparentent à la survie.

  1. Maisons bi-générationnelles

Une possibilité pour HH d’agir et de prendre sa part dans les territoires « brûlés », tant la misère met en cendres l’avenir.

Nombre de ces quartiers se sont créés dans les années 1960 avec les besoins de l’industrie entraînant la concentration de populations immigrées dont beaucoup de leurs petits-enfants sont sans travail et sans formation.

Au vieillissement de ces premiers immigrés s’ajoute l’isolement lié à la rupture des liens avec leur terre natale, doublé de la perte d’autonomie et de ressources.

Les Ministères de la Santé et de la Ville, consultés, nous encouragent à la création de maisons bi-générationnelles sur ces quartiers, offrant un habitat adapté et une « activité » pour les plus jeunes.

Gardons en mémoire le fait que les fragilités, quand elles ne sont pas de même nature ne s’additionnent pas, mais paradoxalement se retranchent. Tout chemin d’humanité réduit les fractures.

AG2R La Mondiale, premier Groupe de prévoyance en France, à qui je m’en suis ouvert, est favorable pour nous accompagner.

Une perspective qui offre une visibilité aux synergies que d’aucuns souhaiteraient voir mettre en œuvre entre HH et LPA.

Au regard de l’accompagnement qui est l’un des pôles majeurs pour l’avenir d’HH, il convient de requérir les appuis qu’offre l’environnement (écoles, lieux de soins, les voisins…). L’enjeu sociétal est tellement immense qu’il impose des partenariats.

Le 30è anniversaire d’HH sera un temps pour exprimer notre reconnaissance à l’égard de ceux, nombreux qui l’ont accompagnée dans son développement.

Le plus beau cadeau sans doute que nous pouvons ensemble partager, c’est de réunir les conditions d’un « faire ensemble » pour transformer les rapprochements opérés en un réel « vivre ensemble ».

La mission nous dépasse, mais tous nous éprouvons la nécessité de ne point nous dérober à notre vocation d’être des acteurs de la transformation sociale.

Si le chemin est tracé par la ferme détermination de chacun d’agir pour dire non à ce scandale que représente le mal-logement, il s’agit de ne point perdre cœur et confiance au regard des changements trop lents que nous enregistrons.

L’heure est de poursuivre en innovant. Alors que s’engage pour HH une nouvelle étape de son développement, veillons à ne pas nous affranchir de la mémoire qui toujours ouvre un avenir.

Une des actions qui a permis au Mouvement de sortir un peu de sa confidentialité est précisément la participation des étudiants avec l’opération le bizutage intelligent devenue donne-leur un peu de toit, puis progressivement une clé pour les mal-logés.

Aussi est-il souhaitable, qu’au sein des associations et de la Fédération, une place soit réservée à la jeunesse pour qu’elle concoure à relever un défi nécessaire afin que la Société retrouve l’estime d’elle-même et des raisons d’espérer.

Bernard Devert
Février 2015

Un commentaire sur “2015, l’année des 30 ans d’HH : une fête en attente de la défaite du mal-logement Aidez-nous à ce qu’elle ne tarde point

  1. Merci Mr Devert! J’ai découvert votre démarche récemment et vais essayer d’y contribuer au mieux en PACA/Monaco (l’est du département 06, peu couvert actuellement: Menton, Roquebrune…).

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