Qui ne s’est pas écrié ou, selon, reproché d’avoir manqué, juste d’un peu de temps, pour parvenir à l’objectif espéré, ou d’avoir échoué, juste pour quelques points.
L’insuffisance a comme conséquence de mettre en retrait ce qui apparaissait possible et qui, alors, s’efface. Ici, le juste revêt un caractère inique, assombrissant ce qui était espéré.
Seulement, qui n’a pas fait l’expérience que ce juste – qui précisément manque – permet de lâcher les forces vulgaires et possessives pour entrevoir celles créatrices d’un élan, ouvrant l’inattendu d’un chemin de liberté.
Que d’accidents de parcours conduisent à imaginer, à recréer de nouvelles approches se révélant un ajustement à des perspectives nouvelles.
Dans quelques jours, nous célébrerons Noël. Comment ne pas penser à Claudel en sa nuit du 24 décembre 1886. Il a 18 ans, s’ennuie. Il se rend à Notre-Dame, non pour prier mais, comme esthète, pour entendre les vêpres. Là, il connaît une fulgurance, une justesse de ce qui l’habitera à jamais ; J’ai eu tout à coup, le sentiment déchirant de l’innocence, l’éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable.
On ne naît pas juste, on le devient.
Ainsi, Etty Hillesum, cette jeune-femme juive, brillante, déportée à Auschwitz.
Alors qu’elle eut la possibilité de sortir de l’enfer, ce qui lui apparut juste fut de rester avec les siens… jusqu’au bout.
Dans ces camps, la mort n’était pas seulement donnée, mais célébrée par les nazis. Face à l’abomination, se leva cette femme d’exception qui, face à ce drame absolu, extirpa le déshonneur d’une inhumanité. Une parole indépassable, si juste et profondément humaine qu’elle portait la trace du divin !
Etty ne demande pas où est Dieu ; elle ne l’accable pas de son silence, elle le soutient. J’ai compris, dit-elle, je vais t’aider à ne pas t’éteindre en moi. Tu ne peux pas nous aider, mais nous pouvons t’aider. Osant l’inconcevable, elle parvient à rejoindre l’Innommable, laissant une parole si dense et si juste que, dans le cloaque de ces camps, elle suscite un jardin, celui-là même de la résurrection.
La recherche du juste est l’aiguillon qui interdit le refus de l’autre et ces tristes alibis, lit de l’injustice, mettant en avant ces boucs émissaires, nommés à l’envi par ceux dont le mépris s’accompagne de la dénonciation des plus vulnérables. Facile et indigne !
L’heure est celle de risquer une parole juste, attentive au prendre-soin de la fragilité. Notre civilisation, si elle est en danger, l’est précisément pour ne pas viser la justesse des relations qui construisent une humanité fraternelle.
Ces variations sur le juste puissent-elles être une harmonie. Les partitions nous sont données, mais nous avons souvent peur de jouer, craignant l’inachevé. Or, n’est-il pas pour chacun l’invitation à faire entendre ce qui est juste.
L’attente est grande ; là est l’espérance.
Bernard Devert
1er décembre 2021