Ces vieilles pierres qui offrent à l’acte de bâtir une sagesse

Les cités se construisent au cours du temps, pierres sur pierres d’où un patrimoine qui en fait la richesse ; la ville, c’est aussi des femmes, des hommes et des enfants qui veulent y trouver leur place.

Ainsi, se font jour des tensions, voire des conflits, entre les hommes et les pierres. Ces dernières seraient-elles plus importantes que les êtres vivants. Il y a un pas trop vite franchi ; un équilibre doit être recherché.

Vivre, c’est entrer dans une histoire. Les siècles ne nous laissent-ils pas l’héritage d’une sagesse qu’il convient de ne pas saccager.

Un couple l’a singulièrement compris pour avoir créé la renaissance du vieux Lyon ; il s’agit de Annie et Régis Neyret qui, en 1998 ont obtenu l’inscription de la ville au patrimoine de l’Unesco.

La semaine écoulée leur nom été donné au marché de la création, appelé désormais promenade Annie et Régis Neyret.

Tous deux sont habités par la même passion : donner vie au passé pour susciter un avenir. Ne nous étonnons pas de leurs liens avec André Malraux ; ils partageaient la même vision quant à la mémoire, un vecteur d’avenir.

Régis et Annie savaient tenir pour obtenir. Ils avaient le sens de la résistance, un mot qui n’est pas étranger à cette ville qui en est la capitale. Je cite ici Régis – « j’ai appris que l’on pouvait être cultivé sans avoir fait de longues études, admirer la tradition et se passionner pour la création ». Dès lors qu’on a des convictions, surgit le temps des possibles. Tous deux l’ont fait exister.

La gratuité de leur combat signe leur liberté. Ils ne cherchaient pas à plaire, ni à s’investir pour les honneurs. Ce qui leur importait était de ne pas bafouer l’histoire trop souvent blessée par les idéologies et les intérêts prosaïques et cupides qu’ils ne supportaient pas.

Ils n’ont brigué aucune place dans la Cité. Ils ont su faire entendre leur voix quand il le fallait, notamment pour s’opposer à cette folie s’emparant de constructeurs et de politiciens qui n’avaient d’autres perspectives que de faire couler du béton.

Un tel acte eut été meurtrier pour la ville. Régis et Annie l’ont écarté pour être de réels bâtisseurs. A ce titre, ils ont su être des acteurs de réconciliation dans une conscience aigüe que l’avenir ne se décide, ni ne se dessine dans des facilités, toujours destructrices de l’espoir.

Quelles étaient leurs armes : la tendresse, l’humour et l’humilité accompagnée d’une générosité désarmante, non dépourvue d’une certaine provocation, leur armure pour se défendre de toute entrave.

L’avoir n’avait pas de prise sur eux. Ils donnaient priorité à ce qui fait surgir l’honneur et le bonheur de se savoir les héritiers de toutes ces générations qui, patiemment, ont su bâtir un monde lui donnant des racines, ce « fil rouge » de leur vie, trace d’une solidarité efficiente et bien comprise.

Ce couple inséparable, qui souffrit de ne pas avoir d’enfants, eut une fécondité incomparable. Il sut découvrir le mystère de la profondeur de cette ville, en écouter les harmonies et apprécier les dissonances pour en faire des fulgurances.

Ils ont regardé comme ils se regardaient. Leur amour fut une invitation discrète, et là encore désarmante, à comprendre que tout ce qui monte converge vers l’essentiel.

Là où la pensée est habitée par le courage, naît l’inattendu de ces initiatives qui ont pour nom la créativité.

Ces deux voix qui se sont fait entendre au risque de bien des incompréhensions sont désormais justement reconnues comme celles qui, offrant à l’histoire toute sa place, construisent un trait d’union entre hier et aujourd’hui

Bernard Devert

Octobre 2022

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